Envies de meurtres
Et voilà que je me retrouve une fois de plus à la Défense, au siège social de la boîte, pour un exercice de style imposé que j’apprécie tout particulièrement. Personne ne voulant assister à ce type de réunion, mon côté curé a fait que je me suis proposé : être représentant syndical au Conseil d’administration (CA) de l’entreprise. Déjà que je déteste toutes ces réunions paritaires au siège qui ne servent pas à grand-chose, si ce n’est à nous éloigner du lieu d’exploitation et des collègues, les réunions de CA, c’est pire que tout. Ce sont juste des étapes obligées de la part de la direction générale vis-à-vis de l’administration et de l’actionnaire principal. Tout est déjà préparé à l’avance, les décisions sont prises en amont, dans les bureaux feutrés ou dans les couloirs. Ceux qui participent sont tous des cadres dirigeants, habitués des CA, avec costards sur mesure ou tailleurs de couturiers pour les rares éléments féminins. On y sent une connivence, un entre-soi, un autre monde. Il y a deux ou trois réunions par an et pour moi c’est déjà trop. Notez que cela m’aura permis de trouver matière pour écrire Tue Ton Patron 1 et 2.
Vu leur tronche et leur façon d’être, on a plus envie de leur envoyer un pain plutôt que de leur serrer la main, mais il faut faire bonne figure. Parfois, j’ai même des envies de Kalaschnikov ou de P.38.
Donc, je me retrouve, avec des représentants syndicaux de chacun des syndicats de la boîte. Nous faisons de la figuration, puisque nous sommes là uniquement, en tant que « représentants des salariés », pour écouter et observer. Si l’un de nous pose une question, il se fait renvoyer dans les cordes sans ménagement. Il va sans dire que nous ne bénéficions pas de jeton de présence. Heureusement. Il suffit d’attendre que ce soit fini pour retourner à nos activités.
Si ce n’est que depuis que nous avons ce nouveau DG, celui-ci en profite toujours
pour recadrer les organisations syndicales. Histoire de faire passer un message. De montrer à ses confrères qu’il tient ses troupes et qu’il sait manager. Ce CA se tient à peine deux semaines après la journée de grève du 9 octobre (cf. CQFD du mois dernier) et l’arrêt de notre usine lui est encore resté en travers de la gorge.
Du coup, le DG entame avec moi, représentant de la CGT, une assidue bataille de regards. Exercice pas simple mais dont je me fiche carrément. Et puis, une fois que le directeur de la comptabilité a donné des chiffres, pour nous invérifiables, mais approuvés par le commissaire aux comptes, voilà que le DG se lance et m’attaque sur les pratiques gauchistes des ouvriers de la boîte où je bosse. Il me cherche mais ne me trouve pas. J’affiche juste un sourire « narquois », comme il dit, n’ayant pas envie de lui répondre. Si je vais sur son terrain, je risque de ne pas avoir le dernier mot. Je lui dis juste qu’on n’est pas du même côté et qu’on n’a pas les mêmes objectifs.
Du coup, pour éviter de perdre la face, il s’en prend au représentant de la CFDT qui ne s’y attendait pas.
« Vous ne me servez à rien », crache le directeur. L’autre est surpris. « Non, je n’ai plus besoin de vous. Vous ne me servez à rien. Vous n’avez même pas empêché que la grève ait lieu. Vous n’avez même pas sorti un tract pour critiquer la grève et l’arrêt des ateliers. à quoi servez-vous ? »
Là, il a attaqué le syndicaliste complaisant où ça fait mal. Pendant le mouvement des retraites, la CFDT avait appelé à ne pas arrêter les ateliers, placards d’affiches sur le risque de fermeture de l’usine à l’appui. Résultat : démissions et renvois de cartes dans la figure.
Le Directeur, en pointant son inutilité, sait qu’il touche le fondement de ce syndicat qui se vante d’aider à la gestion de la boîte de façon responsable, c’est-à-dire très à l’aise dans les tractations de couloir. Et puis c’est attaquer leur statut : dans l’usine, être à la CFDT a permis à la plupart de ses adhérents de pouvoir monter dans la hiérarchie et de se retrouver contremaître ou chef d’équipe. Alors s’ils ne servent à rien, finies les accessions à des postes plus élevés, finies les primes exceptionnelles. Le cédétiste ne répond pas. Physiquement, c’est même visible : il fait le dos rond. De mon côté, je préfère quitter la salle, entraînant les autres syndicalistes, ce qui met fin à la réunion et à la mise à mort du collègue. D’autant que si c’est un adversaire dans certains cas et dans certaines luttes, ce n’est pas lui l’ennemi principal.
Cet article a été publié dans
CQFD n°106 (décembre 2012)
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Paru dans CQFD n°106 (décembre 2012)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine
Par
Illustré par Efix
Mis en ligne le 07.02.2013
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ca dépend des boite j’ai connu un ds CGT planqué et le DS CFDT qui faisait tout le boulot et s’en prenait plein la gueule