À flux tondu
L’autre soir, pris d’une espèce d’horrible pulsion morbide, je me suis dit, tiens, il est vingt heures passées d’une poignée de minutes : si que j’allais mater le jité de France 2 ? (Histoire de voir si cette fois-ci j’arrive à rester plus de quarante-cinq secondes – montre en main – sans me mettre à lancer vers son méprisable présentateur, d’abominables imprécations ?)
Bon, je me connecte, et sur quoi je tombe ?
Sur Pujadasse qui lance un sujet (totalement grotesque, il va de soi) sur l’haut-fourneau-d’Arcelor-à-Florange-qu’a-finalement-pas-été-nationalisé-et-du-coup-Montebourg-a-l’air-tout-con…
…Puis qui, juste après, se tourne vers un torve tondu extrêmement étonnant – genre le fils caché d’Alice Sapritch et Yul Brynner – qui l’a rejoint sur le plateau, et qui lui demande, en substance : « Alors, François Lenglet, qu’est-ce qu’on pouvons-nous-ce penser de toute cette affaire, François Lenglet – tu vas nous le dire, avec ta coupe de Kojak ? »
Ce qu’oyant, ledit, pour lui répondre, lui tient à peu près ce langage : « Ce que nous pouvons en retenir, David, c’est que, quand le président américain a procédé naguère à la nationalisation – temporaire, David, nous ne parlons pas non plus de la Corée du Nord – de quelques entreprises yankees, ce ne fut point du tout à la fin de préserver des emplois – c’eût été d’une rare sottise – , mais bien à celle de sauver, précisément, ces entreprises, et c’est pour ça que c’était vachement bien – alors que là, franchement, ce pauvre c** de ministre crypto-stalinien du redressement productif qui voulait carrément voler le bien de l’excellent monsieur Mittal pour éviter à quelques milliers de pauvres bougres (sympas, notez, mais prolétaires comme point n’est permis) de pointer chez chômedu ? C’était du graaand n’importe quoiii, David, on est où, là, putain de bordel à cul de pompe à merde ? »
Je schématise un peu, hein ? Mais le sens général de l’intervention de l’étrange mec était bien celui-ci.
Et donc, ce que nous avons là, c’est un personnage qui, parce qu’il excelle (avec d’autres) dans la psalmodiation des mantras du libéralisme ultra, fut récemment promu grand sachem de « l’économie » sur France 2, et qui, devant des millions de téléspectateurs, profère distinctement que l’argent de leurs impôts doit être affecté à la sauvegarde du patronat (et de son actionnariat), plutôt qu’à celle du salariat (qui peut quant à lui crever, qu’en avons-nous à treuf, David, tant que nous continuons quant à nous de nous gaver d’argent public), car l’État ne peut certes pas tout, mais il doit du moins continuer de nantir la possédance, ou sinon ça sera la Criiise, David, avec un grand C, comme dans : C’est moi qui suis le plus fidèle ami des marChés. Le bon côté du truc est que j’ai ce soir-là réussi à tenir plusieurs minutes sans péter mon écran – mais il est vrai, aussi, que j’étais trop occupé à gerber.
Cet article a été publié dans
CQFD n°106 (décembre 2012)
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Paru dans CQFD n°106 (décembre 2012)
Dans la rubrique Rage dedans
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Mis en ligne le 22.01.2013
Dans CQFD n°106 (décembre 2012)
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