Migrants

De la jungle de Calais aux centres de répit de Marseille

En mars dernier, l’Observatoire du juge des libertés et de la détention de Marseille (JLD)1, a reçu la visite de Laurent, militant actif depuis plusieurs années à Calais. Il a livré un témoignage amer et désolant, corroborant les nombreux récits de migrants déjà recueillis par l’observatoire du JLD. Tous font état de déplacements forcés de Calais à Marseille (107 personnes au 30 novembre 2015) et d’enfermements dans le Centre de rétention (CRA) du Canet, à la suite du démantèlement de la zone sud de la «  jungle  ».

Depuis octobre, le gouvernement veut «  désengorger la jungle  » de Calais en répartissant les réfugiés sur le territoire français, pour limiter considérablement leur nombre sur place. Ils étaient encore 8 000 avant l’automne. Pour Laurent, «  cela s’est fait dans le chaos et avec une réflexion minimale de la part des autorités  ». La stratégie de dispersion est complexe. D’une part, des interventions musclées ont conduit à la déportation de réfugiés (dont des nationalités protégées non expulsables) vers les CRA. D’autre part, les réfugiés ont été incités par des représentants de l’État à rejoindre l’un des Centres d’accueil et d’orientation (CAO).

«  Centres de répit  », quel nom étrange...

Aujourd’hui, 134 CAO, aussi appelés «  centres de répit  » sont ouverts dans 76 départements. Le ministre de l’Intérieur Cazeneuve a déclaré vouloir offrir aux habitants de la «  jungle  » la possibilité de «  reconsidérer leur projet d’immigration au Royaume-Uni  ». Des affiches et des tracts expliquant «  qu’aucune décision ne serait prise contre [leur] volonté  » avaient été placardés partout dans la «  jungle  ». L’accueil en CAO a été présenté comme une grande opportunité. Il donnait la possibilité de demander l’asile et d’espérer une installation pérenne en France, même pour les «  dublinés2  ». Des bus spéciaux ont été affrétés à cet effet, dans lesquels les gens montaient sans être informés de leur destination… Finalement, au 21 mars, 3 215 personnes (surtout des Soudanais (38 %), des Afghans (20 %), et des Irakiens (17 %), souvent isolés) avaient été conduites à accepter de partir de Calais pour rejoindre l’un des centres. Les promesses de «  répit  » clamées haut et fort ont pourtant été souvent trahies. Nombre de migrants ont été reconduits vers le pays européen où leurs empreintes avaient été prises précédemment.

À Marseille, c’est cette histoire que Mohamed, de nationalité soudanaise, a vécue directement. Il est arrivé dans l’Union européenne par l’Italie, où la police l’a violemment contraint à déposer ses empreintes. Mohamed a traversé la France jusqu’à Calais afin de rejoindre l’Angleterre. Il a été placé dans le CAO de Mulhouse, faisant confiance à la promesse du préfet du Pas-de-Calais d’une installation possible. On lui a également affirmé qu’il pourrait demander l’asile. Un avenir en France entrevu, puis une réalité qui s’avère beaucoup plus crue : il est vite renvoyé en Italie où il s’arrange pour qu’on perde sa trace. De retour en France, il se fait contrôler à la gare Saint-Charles de Marseille. Le nombre de contrôles d’identité ne cesse d’augmenter depuis que l’état d’urgence est en place. Voilà Mohamed enfermé au CRA du Canet. Puis, suite à deux tentatives de renvoi en Italie auxquelles il s’oppose, il se retrouve placé en garde à vue, et passe en comparution immédiate devant le juge pour entrave à l’exécution d’une mesure d’éloignement. L’audience étant reportée, ce dangereux spécimen de homo migrantis reste trois longues semaines en détention préventive à la maison d’arrêt de Luynes. Le 13 avril, le juge lui accorde une assignation à résidence jusqu’à l’audience du 18 juillet, durant laquelle il sera statué s’il «  mérite  » entre trois mois et trois ans de prison ferme avec, à terme, une interdiction du territoire français et un renvoi au Soudan. Un pays qu’il a pourtant fui pour échapper à la détention arbitraire dont il était victime… Ironie du sort, en trois mois de séjour, Mohamed a acquis une profonde expertise en matière d’enfermement en France et en Europe, sans avoir jamais pu déposer une demande d’asile !

«  Il faut bien comprendre que l’arrivée en CAO est équivalent à une loterie  », nous dit Laurent. On peut bien tomber (dans une préfecture compréhensive et favorable à l’arrivée de réfugiés) ou très mal (et c’est le renvoi, soit à la frontière, soit dans un pays en guerre). La préfecture a toute la latitude possible dans ces choix en matière de traitement des dossiers et des procédures de demande d’asile des personnes accueillies en CAO débarquant de Calais. «  Au vu du peu d’informations reçues par le gouvernement, certains préfets ont décidé de ne pas tenir compte de Dublin III et proposent aux migrants d’introduire une demande d’asile auprès de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides).  » L’application de ce règlement n’est en effet pas obligatoire  : on y souscrit par exemple à la sous-préfecture de Briançon, pas dans les Bouches-du-Rhône.

«  Tout se fait dans la précipitation  », poursuit Laurent qui pendant plusieurs semaines a fait le tour de ces centres à la recherche d’informations précises sur les conditions d’accueil et le suivi des personnes. «  Les responsables n’ont pas forcément les compétences pour une telle gestion.  » Un marché public régit l’octroi de l’administration des CAO. Certaines associations choisies n’ont jamais travaillé avec des réfugiés, d’autres sont expertes du logement d’urgence (on peut comprendre le lien), ou bien de la prise en charge de personnes handicapées (on comprend moins…).

À Istres par exemple, le CAO est géré par l’ Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa). Vingt personnes, dont quatorze «  dublinées  », ont d’abord été accueillies. Quarante Soudanais et sept Syriens sont arrivés ensuite. Parmi eux, quatre mineurs ont été orientés vers l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Certains adultes ont été expulsés vers l’Italie. À Istres comme au niveau national, les CAO ne sont ainsi pas une alternative crédible pour les «  dublinés  », qui craignent leur retour forcé vers le premier pays d’entrée en Europe. «  Finalement, 25 % des personnes repartent à Calais après leur passage en CAO  », selon Laurent.

La stratégie de dispersion de la «  jungle  » mise en place par l’État via les CAO est au final peu efficace. Même constat pour les déportations vers les CRA (Marseille, Mesnil, Metz, Nîmes, Rouen, Toulouse, Vincennes). La quasi-totalité des personnes a été libérée après être passée devant le JLD. Des quelque 1 500 personnes enfermées à partir de la fin du mois d’octobre 2015, plus de 96 %3 ont été libérées au bout du cinquième jour de rétention, faute de fondement juridique, pour justifier l’enfermement, et du fait de vices de procédure.

Pour aller plus loin, voir le Thema : Migrants de CQFD.


1 Un groupe bénévole qui observe les décisions liées à la détention des étrangers illégalisés en France.

2 Personnes soumises au règlement européen «  Dublin III  » qui permet au préfet de renvoyer un demandeur d’asile dans le pays par lequel il est arrivé dans l’Union européenne.

3 «  L’illusion de la dispersion des exilés  », Causes Communes, n°87, Janvier 2016 (édité par la Cimade).

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