Bidonville de Calais

La destruction

Après « Naissance et vie d’un ghetto » (paru dans CQFD n°148), Philippe Wannesson – toujours aux commandes du blog Passeurs d’hospitalités – nous livre la chronique de la destruction du plus grand bidonville de France.

(C’était il y a trois ans dans “CQFD”...)

Par Etienne Savoye

À la fin du mois d’août 2016, rien ne laissait présager la destruction totale et rapide du bidonville. La préfecture jouissait d’une mise à disposition du site pour six ans à partir de décembre 2015, un lieu de mise à l’abri pour les mineurs devait ouvrir en novembre au centre Jules Ferry. L’emballement médiatique de la rentrée, la mobilisation de la droite et la perspective de l’élection présidentielle ont conditionné un choix rapide pris au plus haut niveau. En moins de deux mois a été mise en place la logistique pour organiser le déplacement forcé de la majorité des habitant-e-s du bidonville vers des centres dispersés dans toute la France, accompagné d’une mise en scène médiatique, d’un important déploiement policier et de la participation de plusieurs associations à l’opération.

De l’emballement médiatique à la préparation

Le 28 août, Le Figaro fait sa une sur 10 000 migrants à Calais. Le 29 août, un regroupement d’acteurs sociaux et économiques du Calaisis annonce un blocage de l’autoroute pour exiger une date pour la destruction du bidonville. Le 2 septembre, le ministre de l’Intérieur vient rencontrer les organisateurs. Il promet la destruction du bidonville tout en restant imprécis quant aux dates et aux modalités. Celle-ci a lieu le 5 septembre, la préfète du Pas-de-Calais désamorce le blocage en promettant des indemnités financières.

Le 13 septembre, Le Figaro dévoile le plan du gouvernement de créer des centres d’hébergement dans toute la France pour les personnes expulsées, déclenchant une mobilisation de la droite et de l’extrême droite. Nicolas Sarkozy puis François Hollande viennent à Calais. Le 20 septembre, les ministres de l’Intérieur et du Logement réunissent des associations et leur donnent des assurances qui les amènent à approuver le plan du gouvernement. Le 22 septembre, le président du Secours catholique du Pas-de-Calais annonce que la destruction aura lieu au cours de la deuxième quinzaine d’octobre en exprimant sa satisfaction.

Alors que le début des opérations approche, certaines associations expriment un point de vue plus critique et saisissent la justice contre la décision d’expulsion. Le gouvernement communique sur le caractère humanitaire de l’opération tout en menaçant d’expulsion du territoire les personnes qui refuseraient de quitter Calais et agite le spectre de « l’ultragauche » pour justifier le dispositif policier. Celui-ci est dévoilé principalement par les médias de droite.

L’expulsion

L’arrêté d’expulsion est motivé par l’état d’urgence. Il concerne le bidonville, mais aussi le camp de containers et le lieu de mise à l’abri des femmes et des enfants créés par l’État. Pour contrôler l’accès au site, la préfecture met en place un système d’accréditations, qui bénéficiera principalement aux médias et permettra d’écarter les associations, principalement juridiques, et les personnes jugées indésirables. Un arrêté pris dans le cadre de l’état d’urgence réprime le fait de se trouver sans accréditation dans le périmètre des opérations. Il comprend le bidonville et les deux lieux de mise à l’abri créés par l’État, ainsi qu’un hangar réquisitionné pour le tri des personnes et le départ en bus vers les lieux d’hébergement et leurs accès. Un commissariat mobile est disponible en cas de besoin. Plus de mille policiers et gendarmes ont été mobilisés en renfort de ceux déjà présents à Calais. La moitié de l’effectif doit empêcher les retours à Calais et la création de nouveaux campements. Trois centres de rétention ont été rouverts et d’autres places réservées en prévision de l’expulsion des personnes arrêtées.

Le premier jour de l’expulsion, lundi 24 octobre, a surtout vu le départ de personnes qui avaient déjà décidé de quitter Calais pour demander l’asile en France, et s’y trouvaient bloquées faute de places d’hébergement. C’est aussi le jour où il y avait le plus de médias présents. Le mardi 25, les incohérences du dispositif de tri entre personnes mineures, vulnérables et autres tend la situation. Les mineurs provoquent une bousculade réprimée par les CRS, des femmes manifestent pour aller au Royaume-Uni, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté met le doigt sur des illégalités flagrantes, la délégation du Haut-Commissariat aux Réfugiés se retire pour ne pas cautionner l’opération. La préfète annonce le début de l’expulsion forcée et de la destruction du bidonville. L’accès des journalistes est interdit lorsque les gaz lacrymogènes sont employés.

Des incendies sont allumés pendant la nuit dans le bidonville et continueront le lendemain. Mercredi 26 en début d’après-midi, la préfète annonce qu’il n’y a plus personne dans le bidonville, entraînant la fin de l’intérêt de la plupart des médias. Dans les faits, il reste plusieurs centaines de personnes dont de nombreux mineurs. Le jeudi, la police les informe qu’elles ont le choix entre le départ vers les centres d’hébergement ou l’arrestation et l’expulsion vers leur pays, et force des mineurs à monter dans des bus pour des centres d’hébergement. Le vendredi restent les deux centres d’État et des mineurs de plus en plus nombreux. Ils sont 1 800 dans le camp de containers, pour 1 500 places.

Mercredi 2 novembre a lieu l’évacuation du camp de containers, les mineurs qui dormaient dehors aux environs y étant entrés la veille. Ils partent avec la promesse d’aller au Royaume-Uni, et accompagnés par des « officiels britanniques » qui disparaîtront à l’arrivée dans les centres d’hébergement pour mineurs. Et l’opération se termine jeudi 3 avec l’évacuation du lieu de mise à l’abri des femmes et enfants. La majorité des femmes s’étant déclarées mineures, les premières sont envoyées vers des centres pour mineures, puis, faute de places, vers des centres pour majeures.

Pression et dispersion

Après la fin de l’opération, les contrôles persistent, pour une durée indéterminée. Contrôles au faciès qui pèsent sur les exilé-e-s qui sont resté-e-s, qui reviennent ou qui arrivent, mais aussi sur une partie de la population, toute personne ayant l’air d’origine étrangère. Ils ont lieu dans les gares, à Calais et en amont jusqu’à Paris, dans les parcs ou dans les rues. Une unité de police surveille particulièrement l’apparition de squats et de campements, en lien avec les « voisins vigilants ».

Les personnes considérées comme mineures ont été emmenées dans des centres hors du dispositif de droit commun de protection de l’enfance. Une circulaire organise la mise à l’écart de toutes les garanties légales dont elles pourraient bénéficier, dans l’attente de la décision du Home Office sur celles d’entre elles qui pourront accéder légalement au Royaume-Uni.

Les Centres d’Accueil et d’Orientation où ont été emmenées les personnes considérées comme adultes sont aussi hors du droit commun. Au bout d’un mois, elles doivent choisir entre la demande d’asile en France, le retour « volontaire » dans leur pays d’origine ou l’expulsion – ou quitter le centre et reprendre la route. La situation des personnes pouvant être expulsées – notamment dans le cadre du règlement européen Dublin III1 – et des mineur-e-s envoyé-e-s dans les centres pour adultes reste incertaine.

Après la destruction, Calais reste sous forte pression policière. Il est encore difficile de prévoir comment la situation va évoluer, comment le passage vers le Royaume-Uni va se réorganiser et ce que vont devenir les personnes dispersées dans toute la France.

Philippe Wannesson

1 Le règlement européen Dublin III sert à déterminer le pays responsable d’une demande d’asile. Le plus souvent, il s’agit du pays d’entrée dans l’Union européenne, mais dans certains cas peu appliqués il peut s’agir du pays où se trouve déjà un membre de la famille.

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