Centres d’accueil des migrants

Hors de Calais mais pas tout seuls

Photo Tomagnetik / Bon Pied Bon Œil

Entre le 24 octobre et le 4 novembre, l’État français a vidé la jungle de Calais à coups de bulldozers, de CRS et… de bus. Les quelque 8 000 personnes venues là dans l’espoir de rejoindre le Royaume-Uni ont tout à coup disparu des écrans. L’opération est un succès : la crise des migrants, c’est fini, Calais est vidé.

En réalité, on a juste caché la misère sous le tapis, aux quatre coins de la France. Environ 300 Centres d’accueil et d’orientation (CAO) ont été ouverts pour accueillir plus de 7 000 personnes. Tantôt en pleine forêt, tantôt dans des campagnes profondes, des centres de vacances de la Poste ou de la SNCF sont mis à disposition jusqu’en mars (a priori) pour reloger les migrants. Mais cette tentative de les éloigner du Royaume-Uni et de tout lien social a échoué.

Partout en France, des comités ou des individus sont allés à la rencontre de ces étrangers parachutés près de chez eux. Lors d’une réunion de l’un de ces collectifs, Bienvenue Sud Luberon, à la Tour d’Aigues – cinquante-et-un mineurs érythréens ont été relogés dans un centre de vacances de la Poste à Grambois, à quelques kilomètres –, la voix douce mais décidée d’une jeune militante de El Manba (Collectif de soutien aux étrangers à Marseille) a résonné : « L’État a voulu les diviser, diviser les assos qui les aidaient à Calais. Mais nous pouvons aussi saisir cette opportunité pour nous réunir, créer de la solidarité et de l’humanité. »

C’est bien ce qui est en train de se passer un peu partout. L’association Utopia 56, basée à Calais, est en contact avec de nombreux salariés de CAO et témoigne : « Il y a environ 5 000 personnes impliquées auprès des hébergés en CAO partout en France. Et ce ne sont que ceux qu’on connaît… Il y en a certainement dont on ignore l’existence. » Ces collectifs sont composés de militants de la première heure, mais pas seulement. À la Tour d’Aigues, ça va de la directrice d’école à l’éducateur jeunesse et aux retraités. Au début, la mobilisation a commencé gentiment. Contact avec les jeunes hébergés, pique-nique géant dans un parc, l’équipe de foot des jeunes du village qui les invite aux entraînements... Puis un loto récolte plusieurs milliers d’euro et finance l’achat de bons sacs à dos et de portables pour ces gamins qui n’aspirent qu’à une chose : repartir de ce village perdu du Vaucluse, sans desserte de bus ni de train.

Quand un jeune quitte le centre, c’est le déchirement, surtout lorsqu’on sait que les promesses de regroupement familial au Royaume-Uni ont été vaines pour quarante d’entre eux. Certains jeunes bientôt majeurs risquent une expulsion vers le premier pays d’entrée dans l’Union européenne, l’Italie, la Grèce ou la Hongrie et des cas de maltraitance ont été documentés par Amnesty International dans ces trois pays. Alors les gens se fâchent. À Marseille, Toulouse, la Tour d’Aigues et ailleurs, on interpelle le préfet, la presse, sur la situation de ces gamins à l’abandon. On fait du bruit avec des pétitions, des manifestations devant les préfectures pour les faire régulariser. La proximité a changé la donne. L’injustice vue de près est encore plus insupportable. Alors, en ville comme à la campagne, ils sont des milliers à se politiser et parfois même à se mettre hors la loi pour un peu d’humanité.

Maryse Chebbi

Plus d’infos sur l’actu des collectifs et des CAO sur le blog « Passeurs d’hospitalités »

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Paru dans CQFD n°151 (février 2017)
Par Maryse Chebbi
Illustré par Tomagnetik

Mis en ligne le 13.11.2019