D’une fermeture l’autre

Le 16 avril dernier, à Rouen, devant le tribunal de commerce, et devant une flopée de journalistes, caméras et appareils photos en joue, 300 manifestants apprennent que les repreneurs de Pétroplus ne font pas le taf. Ce n’est même pas la colère. Juste comme un abattement. Une nouvelle annonce de liquidation de boîte. Dans l’assemblée, il n’y a pas que des salariés de la raffinerie et ils semblent presque plus déçus que les raffineurs eux-mêmes.

Bien sûr, on pourrait se demander quelle est la légitimité de ces juges du tribunal de commerce qui sont des patrons qu’on a placés là. Leur décision est obligatoirement biaisée par leurs intérêts. Mais les pseudo-repreneurs libanais, panaméens ou égyptiens (même avec le soutien de Montebourg) avaient l’air tout sauf fiables. Pas plus crédibles qu’un Gary Klesh qui a racheté les usines d’Arkema, pour les fermer au bout de huit mois après avoir empoché le pactole. De toute façon, malgré les promesses, quel repreneur aurait investi 450 millions d’euros minimum, rien que dans les réparations de machines avant le redémarrage ? Seule l’intersyndicale avait l’air d’y croire.

Par Efix

Pétroplus, c’était un conflit bizarre (voir CQFD de janvier 2013), avec des actions médiatiques et peu de mobilisation. Avec une « intersyndicale » qui a fait le show pendant que les salariés déléguaient, sans savoir si cette délégation de pouvoir était due à l’inertie de la bureaucratie syndicale ou au peu de fighting spirit des salariés. Un peu des deux sans doute. Résultats des courses : dans les salons feutrés, où se pressaient ministres, élus locaux et industriels plus ou moins véreux, les prolos se sont fait avoir avec ou sans leur consentement. On leur a fait miroiter des choses qui ne se feront pas, on leur a fait croire que tout se joue entre gens responsables. Et quel sentiment d’importance, tout à coup, de se retrouver dans les salons ministériels ! Idem, quand on joue le jeu de la médiatisation à outrance, il arrive que certains prennent la grosse tête devant un micro ou une caméra. Je ne leur jette pas la pierre. Quand on se trouve face à une fermeture de boîte, avec des collègues qui n’ont pas trop envie de lutter, ce n’est pas simple.

Depuis l’annonce du 16 avril, les salariés de Pétroplus ont reçu leur lettre de licenciement, sauf une centaine d’entre eux qui doivent rester pour le démantèlement. Il y a toujours des assemblées générales à l’entrée de l’usine, où il est question d’autres pistes de reprise ou de nationalisation, mais avec beaucoup moins de monde. Pire même, ceux qui tiennent les AG ne peuvent plus rentrer sur le site puisqu’ils se sont fait virer.

Et encore, les raffineurs ne vont pas s’en tirer trop mal. Avec les stocks de brut, avec les soutiens locaux et gouvernementaux, leur plan de licenciement ne va pas être trop mauvais. Le gros de la casse sociale, comme souvent, ce sera pour les entreprises partenaires et pour les emplois induits.

Quant à la dépollution d’un site gorgé d’hydrocarbures, qui va s’en charger et qui va le financer ? Pétroplus ne peut pas payer, quant à l’ancien propriétaire (Shell), il ne veut pas payer. Du coup, cette dépollution, qui va s’étaler sur plusieurs années, sera sans doute à la charge des pouvoirs publics.

Que va-t-il y avoir à la place de la raffinerie ? Le port autonome de Rouen a des projets de stockage et de logistique (encore davantage de camions pour transporter… du carburant). Il est aussi question, comme à chaque fermeture de site polluant, d’une fabrique fantôme de panneaux photovoltaïques (très polluants, le silicium est cancérigène). Tout est possible, surtout le plus absurde. Certes, dans un bel élan d’optimisme, on peut se dire que la fin de la raffinerie signifiera, à moyen terme, moins de pollution dans la région, peut-être moins d’asthmatiques.

Pourtant, cette fermeture n’est pas liée à un combat d’écologistes ou de décroissants. Ce sont les patrons des trusts pétroliers qui ont fourbi cette stratégie. Non pas parce qu’il y a surcapacité de raffinage en Europe, mais pour écouler les fabrications des raffineries construites dernièrement en Asie.

Cet article, juste pour dire qu’on ne peut se satisfaire de ce type de fermeture. Si les Total, Shell, Exxon et autres poussent à la fermeture des raffineries ici, ce n’est pas pour la pureté de l’air, c’est seulement pour augmenter leurs bénéfices.

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Paru dans CQFD n°111 (Mai 2013)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine

Par Jean-Pierre Levaray
Illustré par Efix

Mis en ligne le 04.07.2013