« Aucun risque », qu’ils disaient…
Le discours tenu aux ouvriers de Feursmétal au sujet des ferrailles sous-traitées par l’industrie nucléaire – « pas de risques, aucun danger » – est une chanson qui a énormément servi. Notamment, à l’occasion des contaminations radioactives qu’a connues Pierrelatte il y a onze ans. L’affaire remonte au 23 décembre 1993. Sur le terrain attenant à son entreprise, un carrossier de Pierrelatte (Drôme) observe une équipe d’individus vêtus de combinaisons s’activant à gratter le sol et à enfouir dans des sacs la terre ainsi récoltée. Il alerte immédiatement les services de police. Alors que la presse locale informe que Radiacontrole, société privée spécialisée dans la décontamination, semble impliquée dans une pollution radioactive, et qu’aussitôt la Criirad entre en contact avec la direction, la déferlante des chantages, mensonges, faux documents, dissimulations, confusions et jonglages de chiffres s’organise.
Les responsables de l’entreprise préviennent que d’éventuels développements médiatiques risqueraient de mettre au chômage plusieurs dizaines de salariés. S’ils reconnaissent qu’il traîne bien dans un hangar un fût de cobalt et cinq malheureux fûts de radium 226, ils ne disent mot des brûlages réguliers de déchets radioactifs effectués en plein air. S’appuyant sur les relevés du SCPRI, la préfecture affirme – chanson connue – que « les employés et les riverains ne courent aucun risque ». Le « risque » est d’autant plus minime que les relevés effectués par le Laboratoire départemental d’analyse et la Cellule mobile d’intervention radiologique, beaucoup plus inquiétants, ne peuvent être rendus publics qu’avec l’accord de la préfecture… Alors que régionalement des pétitions circulent et que des rassemblements s’organisent, il faudra attendre plus d’une semaine pour que le SCPRI remette à jour ses compteurs. D’un coup, les chiffres se trouvent multipliés : le niveau de césium 137 passe de 740 à 150 000 bq/kg, celui du cobalt 50 de 18 à 12 000 bq/kg…
L’enquête révèle qu’en 1990 Radiacontrole avait reçu en provenance des centrales de Chinon et Marcoule des échantillons, résidus, poussières et déchets de décantation. Un an auparavant, le CEA-CEN de Grenoble avait livré 92 tonnes de matériaux contaminés qui avaient été dispersées telles quelles, pour ce qui est connu, vers les aciéries du Haut-Languedoc, une usine sidérurgique et une cimenterie, un centre de récupération de ferraille de Montélimar et des entreprises de Loriol et Saint-étienne. Contrairement aux producteurs de déchets qui ne seront jamais incriminés, la société Radiacontrole connaîtra quelques mésaventures judiciaires. Aujourd’hui, suivant la vague poétique qui a emporté le nom des pourvoyeurs de dangers industriels, transformant Cogema/Framatome en un très exotique Aréva, la société Radiacontrole s’est rebaptisée Salvarem 1 . En attendant une grande fusion public-privé au doux nom d’Orgasmus.
Voir aussi « Usine de Feursmétal : une main de fer dans un gant de rouille », « Des accidents “purement accidentels” » et « Anthologie de l’atome inoffensif »..
1 Filiale de Campenon-Bernard, qui construit ponts, écoles, hôpitaux, hôtels, etc… Du producteur au consommateur, en quelque sorte…
Cet article a été publié dans
CQFD n°19 (janvier 2005)
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Paru dans CQFD n°19 (janvier 2005)
Dans la rubrique Le dossier
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Illustré par Berth
Mis en ligne le 20.02.2005
Dans CQFD n°19 (janvier 2005)
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