Sélection immobilière

Dans les années 80, Marseille perd dix mille habitants par an. Une ville sinistrée, selon la terminologie usuelle : en fait, une ville à vendre. Immeubles, entrepôts, friches et rues entières sont disponibles en quantité, pas chers. De quoi faire de bonnes affaires, dans une ville qui compte trente kilomètres de côtes. Hélas ! Le centre est colonisé par les gueux. À partir de 1994, la ville s’attaque au « nettoyage », avec des moyens considérables. Dix ans plus tard, un cocktail de réalisations et d’effets d’annonce a fait son œuvre. Une immense esplanade, dégagée à l’entrée du port autonome, côtoiera bientôt un radoub aménagé spécialement pour les navires de croisière. Un monument-phare destiné à faire joli sur les cartes postales sera bientôt construit face à la mer. Les anciens docks ont été transformés en bureaux de luxe et toute la zone se rêve en quartier d’affaires. Des places sont transformées en parkings et clôturées pour en interdire l’accès aux habitants. La nouvelle gare TGV est sur le point d’être achevée, ainsi que l’entrée souterraine de l’autoroute vers Paris. Côté poudre aux yeux, la mairie ne lésine pas, comme avec le Carnaval, créé et financé pour drainer au printemps, jusque sous les fenêtres de Gaudin, cent mille personnes de tous les quartiers. Marseille regagne désormais dix mille habitants par an. Elle s’est hissée du vingtième au sixième rang sur l’échelle nationale de la cherté immobilière. Car le prix des logements a fait la culbute, jusqu’à cinq fois dans le centre, et les loyers s’envolent. Les habitants actuels seront ainsi virés par « sélection naturelle » – déjà sept mille habitants en moins dans le quartier du Panier (sur seize mille). Les classes populaires sont repoussées vers les quartiers Nord. Mais elles seront toujours bienvenues dans le centre le jour du Carnaval…

Voir aussi « Un siècle et demi d’urbanisme à coups de gourdin ».

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