Proximité
Au final, c’est nous qu’on l’a eu. Parachuté « pour la bonne cause », Mélenchon a été élu haut la main député de la 4e circo. Là où CQFD turbine. Là où la Belle de Mai a été estampillée « quartier le plus paupérisé de France ». Là où la fantomatique rue de la République sert de vitrine à toutes les victoires à la Pyrrhus de l’urbanisme spéculatif. Là où la canaille Noailles voit pousser en son cœur la menace d’un hôtel 4 étoiles. Là où, entre étals de primeurs et bars kabyles, pastis, rami et ramadan font excellent ménage. Là où La Plaine s’amuse à se mettre en commune. Là…
Pour fêter son atterrissage réussi, le brand new député a convoqué ses militant.e.s à un banquet bonne franquette sur les tables de la place Jean-Jaurès. Symbole. Ces tables, construites par des habitants opposés à un projet municipal de privatisation de l’espace public, sont là pour tout le monde. Le député monte alors sur un banc de la plus grande table et empoigne le micro. Potins parlementaires, envolées de prof d’histoire, annonce des mobilisations nationales à venir. Rien sur La Plaine. Il avait prévenu, Jean-Luc : il ne va pas passer sa mandature à faire du porte-à-porte, il n’est pas « un témoin de Jéhovah ». Du coup, deux ou trois plainards l’invectivent du fond de la classe : « On n’a pas besoin de tribun ici, c’est un quartier en lutte ! » JLM se rembrunit : « Mais pourquoi ces gens sont si agressifs avec moi ? » Puis sa suppléante cède le micro à un membre de l’assemblée de La Plaine. « On va faire un peu Nuit debout », dit-elle avec un clin d’œil, sans trop savoir à quel genre d’énergumène elle a affaire. Hissé sur le banc, le gars ne s’adresse plus à Mélenchon par-dessus la tête de ses ouailles, mais aux ouailles elles-mêmes. Il explique la bagarre en cours et ses enjeux qui dépassent le quartier. Applaudissements. Curiosité. Questions. Le député, qui s’est assis pour souffler, demande hors micro : « Qu’est-ce que je peux faire pour vous aider ? » Des discussions parcourent l’assistance. Où le local reprend son droit à l’universalité. Où l’on s’aperçoit que dans l’électorat « insoumis », la sensibilité écolo est sincère, mais peut se laisser berner par le vernis « vert » d’une opération de gentrification. On parle, on discute, ça avance. On reste après le départ des élus. Beaucoup vivent ici. Certaines participent déjà à l’assemblée. Assemblée qui, si elle n’était pas capable de dialoguer avec une mélenchoniste ou un bobo-écolo, serait mal barrée pour gagner la bataille.
Dossier : L’art vaurien
« La beauté sauvera le monde », promettait ce bon vieux Dostoïevski [1]. « L’art doit en être un instrument », complétait le compère Boulgakov. Ah, il faisait bon rêver à l’époque. OK, Fiodor goûtera quelques années aux geôles impériales, embastillé pour ses convictions politiques. Et Boulgakov se noiera dans des océans de morphine, t’as vu. Mais tous deux pouvaient au moins fantasmer sur les vertus de leurs œuvres. Essayez aujourd’hui de balancer que l’art sauvera le monde, vous verrez les lazzis rappliquer en impitoyables escadrons serrés. Ou alors, c’est que vous clapotez tels des vampires sous les dorures d’un ministère rue de Valois ou dans le froid décor d’une agence de com’.
« Avec le temps va, tout s’en va », sanglotait Ferré. Ça, ma bonne dame, c’est indéniable. Avec le temps, le champ artistique a surtout été investi par des logiques insidieuses et mortifères. Il n’est d’ailleurs plus question d’art, mais de « culture » au sens large. Une appellation fourre-tout, qui permet de multiplier accommodements et récupérations. Des grands festivals estivaux aux expos à succès, des animations socio-cul foireuses aux galeries du Marais, la force initiale du geste artistique a perdu toute létalité. Il est désormais outil aux mains des politicards retors, des aménageurs de métropole, des rééducateurs du peuple et des goules de salles de vente. En terre phocéenne, où le Chien rouge a sa tanière, on l’a constaté avec les opérations entourant l’événement « Marseille 2013 capitale européenne de la culture », vaste opération d’enfumage à visée gentrificatrice. Et aussi dans les ruelles du Panier, où les graffs font maintenant office d’appeau à touristes. Pour ne rien rater des œuvres disséminées sur les murs de ce village Potemkine, il suffit de prendre son ticket pour le « street art tour » (p. II). En voiture, Simone !
Pas de street art à Perpignan. Mais une lente muséification du centre-ville, seule solution trouvée par la municipalité pour endiguer la sinistrose – une gentrification patrimoniale, par le vide et pour les touristes. Picasso débarque et la vie s’en va (p. IV). Un comble. Dans le 93, Saint-Denis n’en est pas encore là. Mais la municipalité fait les yeux doux au 6B, immeuble aux allures de squat accueillant 200 artistes et créatifs. Désormais branché, le lieu doit son existence à un promoteur immobilier, qui se sert de son image pour refourguer des appartements aux classes moyennes (p. VI). Les marchands du temps sont partout. Ils institutionnalisent la révolte artistique, font coexister subvention et subversion, spéculent à gogo sur les œuvres (p. VIII). Ou jouent à bon compte les « agitateurs culturels », multipliant les événements creux pour faire frétiller la petite bourgeoisie. À l’image de Jean Blaise, fournisseur exclusif des festivités officielles à Nantes, qui ripoline la ville sous une couche de culture bon teint et voit dans l’art « une ressource, comme du pétrole » (p. VI). Creuse, Jeannot, creuse – tu finiras bien par trouver ce que tu cherches...
Mais tout n’est pas perdu : il reste encore des rebelles des planches ou des toiles. Des acharnés qui dans leur coin, avec de petits moyens, pratiquent un art n’ayant pas abdiqué sa vocation première : agiter les méninges, questionner l’ordre du monde. Eux se méfient comme de la peste des pouvoirs en place et des marchands de tapis. Et ne s’intéressent guère à l’art pour l’ar(t)gent, préférant en faire un moyen au service d’une cause émancipatrice. À Rome, le squat Metropoliz héberge ainsi 200 migrants, précaires et sans-papiers. Et 500 œuvres, éparpillées sur les murs et bâtiments pour faire rempart à une éventuelle expulsion ou destruction (p. VI). À Bruxelles, la joyeuse troupe de Récital Boxon, spectacle multiforme se revendiquant d’un art populaire et subversif, fait revivre les luttes qui ont agité la Belgique à la fin des années 1990. Cette fois, il s’agit de combattre le silence, de garder une mémoire. Et de transmettre les joies et les forces du « pays du refus » (p. X). Autre objectif, encore, dans le petit village de Reilllanne, qui chaque trimestre accueille un « Lâcher de mots ». Le principe ? Simple comme chou : chacun et chacune peut occuper quelques minutes une scène ouverte, pour dire, chanter, clamer ce qu’il lui plaît. Un moyen de « briser ce rôle assigné par la société de pouvoir : être spectateur des choses » (p. XI).
Benjamin Péret a justement passé toute sa vie à briser ce rôle assigné. Ennemi de toutes les autorités, poète intransigeant et révolutionnaire conséquent, il a traversé la première moitié du XXe siècle comme un météore rebelle – toujours lumineux et sans jamais s’écraser (p. IX). Un parcours auquel font écho les mots de Jean-Pierre Siméon, auteur de La poésie sauvera le monde, convaincu que le langage doit être instrument de libération et de subversion : « La poésie est avant tout effraction. Elle cherche à plonger plus loin que les effets de surface » (p. XII).
Voilà ! Plonger plus loin pour reconquérir l’art. Refuser les logiques marchandes et institutionnelles. Et se faire détonateur plutôt qu’aménageur. Histoire de faire mentir le pontifieur Godard, qui assurait en 1989, au micro de France Culture, que « l’art se retire parce que les hommes n’ont plus besoin de lui ». Non, gros, t’as tout faux. L’art se retire parce qu’il est vassalisé, privé de son essence première, bouffé aux entournures. Mais on a toujours autant besoin de lui.
Enquêtes et reportages d’ici et d’ailleurs
Migrants de La Chapelle : Paris dans sa bulle > C’était en novembre 2016, porte de La Chapelle : la municipalité parisienne ouvrait un Centre d’accueil pour migrants de 400 lits. Las, cette vaste structure gonflable jaune et blanche est bien trop petite. Et les migrants n’ont d’autre choix que d’attendre encore et encore une éventuelle place.
Mouvement social guyanais : Les oubliés du fleuve > L’enclavement du sud de la Guyane (quinze jours sans Internet) a empêché CQFD d’inclure à son dossier Dom-Tom du mois de juin le point de vue de Thibaut Lemière. Cet instituteur syndiqué à Sud-Éducation a participé à la grande grève du printemps, ainsi qu’aux négociations de Cayenne. Voici son témoignage en différé.
Méditerranée. Dix jours en mer à bord de l’Aquarius : Les vagues comme des barbelés > Depuis février 2016, l’Aquarius sillonne les eaux internationales au large de la Libye pour porter secours aux migrants qui tentent la traversée vers l’Europe. L’une des routes les plus meurtrières au monde : plus de deux mille personnes s’y sont déjà noyées en 2017. Affrété par SOS-Méditerranée, L’Aquarius est l’un des huit bateaux de secours présents sur la zone – le seul à y patrouiller toute l’année. CQFD a pu embarquer à son bord pendant une dizaine de jours.
Incendies au Portugal : Y a le feu à l’austérité > Les incendies de la région de Pedrógão Grande, au Portugal, ont secoué tout un pays pourtant régulièrement en proie aux ravages du feu. C’est toute une politique d’austérité et de rentabilité à tous crins qui est montrée du doigt.
Turquie . Erdoğan réprime à tout-va : Syndicalistes dans la tourmente > Suite au coup d’État manqué du 15 juillet 2016, des purges ont touché tous les secteurs de la société turque. L’État tente de bâillonner les opposants, dont les syndicats qui ne suivent pas sa ligne – leurs membres sont licenciés en masse. Sans salaire, ces derniers peuvent heureusement s’appuyer sur la solidarité syndicale.
L’impossibilité d’une île : « Ils nous ont arrachés à notre paradis pour nous mettre en enfer ! » > Un véritable hold-up ! D’abord colonisés par les Français, puis par les Anglais, les habitants des Chagos, un petit archipel de l’océan Indien, en ont finalement été expulsés de 1966 à 1973, pour laisser place à une base militaire étatsunienne. Ils vivent aujourd’hui en exil, dans le dénuement. Mais ne désespèrent pas de retourner un jour sur l’archipel.
¡ No turismo ! : Un racó llibertari a Barcelona > Au mois de mai, une large invitation a été lancée pour commencer à célébrer le trentième anniversaire d’El Lokal, un espace de luttes mythique dans la capitale catalane. Iñaki nous raconte le reste.
Culture de lutte et arts de combat
« On remet la photo choc à sa bonne place » > La nouvelle revue États d’urgence [2] regroupe six professionnel.le.s (2. Valentina Camu, Valérie Dubois, Yann Levy, Nnoman, Vincent Palmier(icono), Julien Pitinome) de la « photographie sociale ». Tous les ans, 128 pages de regards au long cours sur nos urgences quotidiennes : casse sociale, crise migratoire, violence d’État, catastrophe écologique… Entretien à deux voix pour interroger le rôle de la photo dans les luttes : l’histoire est-elle soluble dans l’esthétique ?
Média : MégaCombines > Depuis neuf ans, tous les mercredis à 18h, la Prime Team de MégaCombi diffuse sur les ondes de Radio Canut une heure de parodies drolatiques, de reportages, de sons loufoques ou du quotidien. Depuis le temps qu’il en rêvait, Julien Tewfiq est enfin allé à Lyon, à la rencontre de ses idoles. Un reportage tout en objectivité.
Désurbanisme participatif : Le béton, c’est bien ! > Fin mai, une session de formation était organisée à L’École du renouvellement urbain (ERU), à Aubervilliers. Le thème : la co-construction des projets destinés à dessiner les villes d’aujourd’hui et de demain. Un membre de conseil citoyen marseillais [3] en était. Et raconte combien le chemin est long, entre théorie et pratique. Pendant ce temps, les bulldozers avancent...
Ma cabane sur La Plaine : Le fantôme de la ZAD > L’Or de La Plaine, pléthorique festival, s’est tenu du 10 au 18 juin à Marseille. Il a fait entendre les voix s’opposant à un projet de réaménagement hostile de la place Jean-Jaurès, prévu par la mairie pour début 2018. Est-on à la veille d’une ZAD urbaine ?