We hold The Rock !

VINGT NOVEMBRE 1969, 2 heures du matin, baie de San Francisco. 80 Indiens débarquent sur l’île d’Alcatraz. Hommes, femmes, enfants. Les adultes sont étudiants à l’UCLA, l’université de Los Angeles. Une fois installés sur le rocher, ils procèdent à l’élection d’un conseil chargé de gérer les affaires de l’île. Les décisions sont prises à la majorité absolue. Chacun a un job : cuisine, enseignement, entretien, sécurité. Un mois après, ils seront à peu près 600 à occuper l’île, représentant une cinquantaine de tribus. D’où leur nom : Indians of All Tribes (Indiens de toutes les tribus). But de l’occupation ? En vertu d’un traité de 1868 conclu avec les Sioux qui leur donne le droit de réclamer une terre fédérale inutilisée, les Indiens ont l’intention de racheter le rocher d’Alcatraz... contre de la verrerie et quelques chiffons rouge. Souvenir teinté d’ironie de leurs échanges commerciaux passés avec les visages pâles. L’idée est de faire de ce site tristement célèbre un centre culturel et une université pour les Indiens. Un programme de dépollution de la baie est même envisagé ! À cet égard, ils ont rédigé un manifeste intitulé We hold The Rock (Nous tenons Le Rocher) dans lequel les Peaux-Rouges déclinent les qualités d’Alcatraz, véritable réserve indienne :
 1. Elle est éloignée de tous services et n’est desservie par aucun moyen de transport approprié.
 2. Il n’y a pas d’eau courante.
 3. Les services d’hygiène sont défectueux.
 4. Il n’y a ni pétrole ni minerai.
 5. Il n’y a pas d’industrie, donc un chômage élevé.
 6. Aucun service de santé.
 7. Le sol est rocheux, impropre à toute culture et il n’y a pas de gibier.
 8. Il n’y a pas d’équipements scolaires.
 9. Il y a toujours eu surpopulation dans l’île.
 10. La population a toujours été considérée comme prisonnière et tenue dans une totale dépendance des autres.

Depuis 1963, date de la fermeture du célèbre pénitencier, le rocher avait déjà fait l’objet de deux tentatives de revendication territoriale par des Indiens. En 1964, une poignée de Sioux avait tenu quatre heures sur le rocher avant de se faire déloger par les gardes-côtes. Le 9 novembre 1969, Richard Oakes, militant mowak et 75 activistes occupèrent l’île l’espace d’une nuit avant de se retirer sous des pressions politiques. Mais le 20 novembre 1969, ce fut la bonne ! L’occupation, toujours emmenée par Oakes, allait durer 19 mois et voir défiler plus de 5 000 Indiens. Dans l’école improvisée, on enseignait les arts traditionnels : travail du cuir, sculpture, danse, confection de vêtements. Le rocher avait sa radio, Alcatraz libre, incarnée par John Trudell, jeune vétéran du Viêt-Nam et futur président de l’American Indian Mouvement (AIM). Nixon, empêtré dans le bourbier vietnamien, dut jouer la montre et se refusa à toute intervention violente. C’est que l’occupation indienne jouissait d’un fort élan de soutien et de sympathie au sein de la population. Brando et Jane Fonda vinrent même faire un tour sur l’île. Début 70, les choses commencèrent à se gâter. Les étudiants retournant dans leur fac, de nouvelles personnes débarquèrent sur l’île, des Indiens des réserves fédérales et des hippies venus fumer autre chose que le calumet de la paix. Suite au décès accidentel de sa fille, Oakes quitta l’île, ce qui favorisa les querelles pour le leadership de l’occupation. Quelques mois plus tard, l’administration Nixon fit couper l’alimentation en électricité et en eau potable. Un incendie éclata sur l’île, détruisant plusieurs bâtiments historiques. Nixon accusa les Indiens d’incurie, en retour ces derniers l’accusèrent d’avoir infiltré leur mouvement. La came et les dissensions commençaient à pourrir le mouvement. Début 71, deux tankers se percutèrent de nuit dans la baie de San Francisco. On fit porter le chapeau aux occupants de l’île dont le phare ne fonctionnait pas. Fumisterie. Nixon cherchait un prétexte pour dégager le rocher. Le 10 juin 1971, il fit donner l’assaut. Quand les troupes débarquèrent, il ne restait plus qu’une quinzaine de personnes sur l’île. Après cette occupation s’ouvrira une période de répression féroce contre l’AIM avec le siège de Wounded Knee et surtout l’affaire de Pine Ridge en 1975 pour laquelle Leonard Peltier entame sa 34e année de taule.

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Cet article a été publié dans

CQFD n° 83 (novembre 2010)

Tous les articles sont mis en ligne à la parution du n°84.

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Paru dans CQFD n° 83 (novembre 2010)
Dans la rubrique Les vieux dossiers

Par Sébastien Navarro
Mis en ligne le 14.12.2010