Vengeance des flics allemands
Trois mois de cavale et puis la geôle
Hambourg, juillet 2017. Des dizaines de milliers de personnes défilent dans les rues pour tenter de bloquer la tenue du G20. Face à elles, 31 000 policiers allemands, qui chargent à tout-va et multiplient les violences. Une répression dantesque, qui n’entame pourtant en rien la résolution des manifestants. Ces derniers réalisent même quelques jolis coups d’éclat, multipliant les cortèges sauvages et tenant la dragée haute aux flics. Jusqu’à ridiculiser ces derniers, qui comptaient faire de l’événement une vitrine internationale du maintien de l’ordre à l’allemande. Raté.
Décidé à prendre sa revanche, le gouvernement crée alors une commission spéciale d’enquêteurs, le Soko Schwarzer Block. Pourvu de gros moyens, il a pour mission de retrouver celles et ceux qui ont affronté les uniformes. Et lance une répression tous azimuts. En août, le site alternatif allemand Indymedia Linksunten est interdit. À l’automne, les perquisitions s’enchaînent dans les lieux rebelles teutons. Puis en décembre, le Soko Schwarzer Block lance une grande traque publique. En publiant une centaine de photos de manifestant.e.s censée avoir commis divers délits. Et en invitant les internautes à dénoncer celles et ceux qu’ils reconnaîtraient sur les clichés. « Comme il n’y avait pas eu beaucoup de contrôles ni d’arrestations pendant le sommet, les flics disposaient de très peu de noms, mais ils avaient beaucoup de matériel photo et vidéo. Beaucoup de journalistes ont également donné leurs images », résume un membre de la legal team du contre-sommet, dans un entretien au site dijoncter.info1.
En mai, le Soko Schwarzer Block augmente encore la pression. Il met en ligne des dizaines de photos supplémentaires et annonce son intention d’étendre la traque à l’international. La promesse est vite suivie d’effets : le 29 mai, des perquisitions sont menées dans des lieux français, espagnols, italiens et suisses. Une première, souligne le membre de la legal team : « À ma connaissance, c’est la première fois qu’il y a des perquisitions aussi importantes, à une échelle internationale. Le procureur allemand a réussi à rendre légitime le fait de rechercher dans cinq pays européens des personnes accusées d’avoir simplement participé à des émeutes. »
Pas l’intention de se rendre
Parmi les personnes visées, un activiste français de 23 ans, Loïc Schneider. Lors du contre-sommet, il a été filmé au sortir de l’un de ces cortèges offensifs qui ont animé Hambourg et pris au dépourvu les uniformes allemands. Ce qui lui vaut un mandat d’arrêt européen pour dégradations, incendie d’un bâtiment, port d’arme de catégorie A et violence sur agent, le tout en bande organisée. De quoi risquer plus de dix ans de prison.
Le 29 mai, la maison des parents de Loïc, dans la banlieue de Nancy, est ainsi perquisitionnée par un véritable aréopage d’uniformes. Aux policiers français et allemands s’ajoutent des gendarmes meusiens, qui cherchent des éléments incriminant celui qui est aussi un militant très actif contre le projet de centre d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. Si elles échouent à mettre la main sur Loïc, absent, les forces de l’ordre fouillent le domicile familial de la cave au grenier. Tout ça pour un maigre butin, raconte le jeune homme 2 : « Ils prennent des clés USB (dont celle de mon père qu’il utilise pour le travail), des CD, deux disques durs externes (dont celui de ma petite sœur), une bombe de peinture, des habits (ils recherchent longuement un slip en particulier, sans succès), le vieux Caméscope familial, un feu d’artifice, un masque de hibou de la lutte à Bure, etc. »
Les flics font (plus ou moins) chou blanc. Peu importe, Loïc, qui reste sous le coup du mandat d’arrêt, n’a pas l’intention de se rendre, d’autant qu’il encourt la révocation de multiples sursis liés à des précédentes condamnations – plusieurs mois d’emprisonnement et des milliers d’euros d’amende infligés lors de plusieurs procès. Les motifs avancés ? Complicité dans les attaques informatiques des Anonymous contre les grands projets inutiles, en 2016. Outrage et rébellion, ainsi qu’incitation directe à la rébellion, lors d’une manif’ contre la loi Travail, en septembre 2016 à Paris. Participation à l’action qui a mis à bas la clôture bâtie par l’Andra 3 autour de l’Écothèque, à Bure. Et enfin diffamation, pour avoir dénoncé les violences d’un commandant de gendarmerie. Mazette – n’en jetez plus.
Il faut dire que Loïc n’a pas pour habitude de se laisser faire. Ainsi, en 2016, quand les forces de l’ordre l’accusent d’outrage et rébellion, il réagit en publiant sur le Net la vidéo de sa très musclée interpellation. L’enregistrement, qui met à mal la version policière, est massivement visionné. Il choque jusque dans les colonnes du pourtant peu rebelle Est républicain, qui évoque des images « violentes » et constate que Loïc a été « plaqué au sol. Sans ménagement. Les policiers lui tordent les bras et l’un d’eux lui monte sur les jambes » 4. Le tribunal le condamne quand même à 600 € d’amende…
Mandat d’arrêt irrégulier
Après la perquisition du 29 mai, Loïc opte pour la clandestinité. Et l’assume publiquement en revendiquant son choix en un texte diffusé sur le Net 5. À ses proches, il explique qu’il prend la clé des champs : « Je ne vais plus pouvoir me balader en ville tranquillement. La terrifiante vidéosurveillance est là. Je crois que je vais rester dans les campagnes et forêts. » Mais dans ses cachettes successives, cet admirateur d’Henry David Thoreau pense à sa famille. Qui lui manque terriblement.
Le 17 août, il craque et rend visite à ses parents. L’occasion pour les forces de l’ordre, qui surveillaient la maison, de l’interpeller. « [On avait pris] pas mal de précautions, explique l’une de ses sœurs. Mais ça n’a pas suffit : on a sous-estimé l’efficacité des caméras de vidéosurveillance et des écoutes téléphoniques. [Les gendarmes] ont débarqué comme d’habitude, à 15 minimum, de façon violente et déterminée. » Fin de cavale.
Voilà Loïc écroué au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville. Cinq jours plus tard, la cour d’appel de Nancy autorise, lors d’une audience tendue, son extradition vers l’Allemagne. Son dernier espoir : que la Cour de cassation reconnaisse l’irrégularité du mandat d’arrêt européen. « Nous n’avons pas l’original, mais une traduction, et elle n’est pas signée par son auteur », pointe l’avocate de l’embastillé. En attendant la décision de la Cour de cassation, Loïc reste donc dans les geôles françaises. Prison ici ou zonzon outre-Rhin – terrible alternative. Mais quitte à choisir entre la peste et le choléra, il faut lui souhaiter de ne pas être extradé : en Allemagne, il risque une peine bien plus lourde.
Mise à jour
Depuis la publication de cet article début septembre 2018, les recours de Loïc ont été rejetés. Selon l’Est républicain, il a été remis aux autorités allemandes au début du mois d’octobre.
Post-scriptum
Pour écrire à Loïc, il faut passer par cette adresse, qui transmettra : Bure zone libre / 2, rue de l’église, 55 290 Bure.
1 « La police d’Hambourg a tellement échoué à maintenir l’ordre qu’il lui faut maintenant réussir sa traque », entretien mis en ligne le 21/06/18.
2 Dans un billet de blog publié le 14/06/18 sur Mediapart, « Je choisis la cavale ».
3 Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
4 Dans « Nancy : un ex-Anonymous met la vidéo de son interpellation sur YouTube », article mis en ligne le 25/09/16.
5 « Je choisis la cavale », op.cit.
Cet article a été publié dans
CQFD n°168 (septembre 2018)
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Paru dans CQFD n°168 (septembre 2018)
Dans la rubrique Actualités
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Mis en ligne le 01.11.2018
Dans CQFD n°168 (septembre 2018)
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