Tourisme médical... mais qu’est-ce qu’on va faire de ça ?
L’affaire s’est produite en mai 2014 et a obligé Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, à sortir de sa réserve : « Qu’est-ce qui choque, ici ? […] Ces malades étrangers, attirés par la renommée de nos établissements, paient 30 % plus cher que le tarif de la Sécurité sociale. Et s’ils ont des exigences particulières en termes de nourriture ou de confort, ils les payent eux-mêmes. » L’origine de ce buzz pathétique : une suite de chambres de l’Hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) préemptées par un émir tandis que des gueux estropiés attendaient un lit d’hospitalisation pour cause d’urgences saturées. Traiteurs, travaux et aménagements divers, réservation de places de parking, les caprices du pétro-monarque avaient nourri tous les fantasmes. Et certains de persifler : l’hôpital public doit-il être sponsorisé par le Qatar tel un club de foot pour divas du ballon rond ? Sobre et pragmatique, Hirsch avait alors rappelé l’objectif de soigner 1 % de patients étrangers aisés. Un tourisme médical taillé pour la upper class mondiale censé rapporter quelque 8 millions d’euros, « de quoi réduire de 15 % notre déficit ».
Tandis que l’aide médicale d’État (AME) réservée aux sans-papiers fait l’objet d’incessantes surenchères xénophobes, se développent insidieusement les avatars de son miroir inversé. Étrangers pleins aux as, nos hôpitaux et toubibs n’attendent que vous. Le réseau Fame (France accueil médical étrangers) fait sa pub en conjuguant excellence sanitaire et attrait touristique français. A côté des séjours sur mesure où tout est pris en charge, de la descente de l’avion à la paperasserie administrative, Fame propose des packs santé tel le « bilan santé et visite de Paris », 5 jours/4 nuits pour 4 999 euros. « Entre une échographie et une prise de sang, qui ne serait pas tenté par une pause-café sur la plus grande avenue du monde ou un petit tour dans les nombreuses boutiques parisiennes ? » Les toubibs stipendiés par Fame n’ont pas à faire la grève de la carte Vitale, juste à être prêts à prendre l’avion pour intervenir, quel que soit le continent, au chevet de n’importe quel ploutocrate cloué au pieu. Leur nom ? Les « flying doctors ». Tandis que Touraine soumet notre système de soins à une purge de 10 milliards d’euros, Fame n’hésite pas à sortir l’artillerie lourde : « Pour tout transport médical aérien, Fame Santé met à votre disposition des avions ambulances ou des équipes médicales hautement expérimentées pour vous accompagner lors de vos voyages. »
Si la mondialisation a poussé bon nombre d’économies nationales à se spécialiser, les systèmes de soins subissent de plein fouet la même logique. Des pays comme l’Inde et la Thaïlande se font un nom dans le domaine des soins orthopédiques ou de la chirurgie cardiaque, le Brésil maintient sa pole position en matière de chirurgie plastique, la Croatie entend briller dans le domaine de la dentisterie, etc. Tandis que les états soumis à des purges austéritaires sabrent dans leurs dépenses de santé, les offres sanitaires désertent le giron du service public pour jouer des coudes dans cette nouvelle compétition mondiale à deux vitesses : d’un côté, des populations aisées vont chercher ailleurs des soins de haut standing ; de l’autre, une palanquée d’impécunieux est poussée à l’exil pour une prothèse de hanche ou un implant dentaire abordable. Le malade, transformé en consommateur de soins, doit désormais faire son marché via Internet. Le site health-tourism.com permet par exemple de choisir sa destination touristico-sanitaire en fonction du bobo à soigner. Plus d’une trentaine de pays sont listés. à Singapour, le docteur Khoo Chong Yew opère des cataractes, en Turquie sa consœur Sümeyye Altintas Kaksi, dermatologue, s’occupera de votre mélanome. Photos et CV des professionnels de santé sont sur le site. Voilà qui rassure. Aux 50 millions de loosers américains vivotant sans couverture sociale, le site internationalliving.com propose des destinations low-cost. 1 500 dollars le pacemaker au Panama contre 5 000 dollars aux USA. A ce prix-là, on aurait tord de passer de vie à trépas. En France, 60 % de la population a déjà renoncé à des soins faute de pognon. Malades, à vos charters.
Cet article a été publié dans
CQFD n°129 (février 2015)
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Paru dans CQFD n°129 (février 2015)
Dans la rubrique Mais qu’est-ce qu’on va faire de…
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Mis en ligne le 16.03.2015
Dans CQFD n°129 (février 2015)
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