Revues

Tigres de papier

C’est toujours avec beaucoup de curiosité qu’on soustrait des kiosques des gares La Revue des Livres, définie comme une « grande entreprise intellectuelle et politique économiquement précaire ». Le sixième numéro de la RdL est encore une fois riche et dense de grandes questions critiques qui rendent beaux-belles et intelligent-e-s ceux et celles qui s’y penchent : Chomsky et ses « interrogations fondamentales » sur le pouvoir et la liberté, Bourdieu et la sociologie de l’État, Angela Davis et la France, également un entretien foisonnant de Charlotte Nordmann avec les jeunes Aïcha, Ilhem, Nawel et Saloua sur leur rapport à l’école et à la culture, etc. Et puis, un article de Daniel Zamora qui nous invite à découvrir « un des philosophes italiens les plus importants de son pays » injustement méconnu en France : Domenico Losurdo. Ce penseur en appelle à une contre-histoire du libéralisme fort à-propos et, de fait, à repenser l’expérience du socialisme au XXe siècle. « Les bolchéviques [auraient] ainsi échoué à “établir une forme relativement stable de gestion du pouvoir” », avance-t-il en toute décontraction. Plus loin, on nous confirme très sérieusement que le socialisme politique était bien un « système inachevé » qui n’a malheureusement pas réussi « à penser l’importance de la limitation du pouvoir au sein de la nouvelle classe dominante » (doux euphémisme !). Fichtre, c’était donc ça ! Alors plutôt que de revenir à l’utopie et au messianisme des origines, il faudrait, selon Losurdo, revenir à l’éboration des « contenus concrets de ce qu’a été réellement l’expérience révolutionnaire ». C’est d’ailleurs à ce « socialisme réel » que s’est probablement référé Losurdo en commettant un calamiteux essai historique de réhabilition du petit fusilleur des peuples (cf. Staline : histoire et critique d’une légende noire, Aden, 2011), ouvrage sur lequel l’obligeant article omet d’insister.

On trouvera par contre une recension dudit ouvrage de Losurdo dans À contretemps – à ne pas confondre avec la revue théorique Contretemps –, mais cette fois pour déplorer « l’existence d’un courant néo-stalinien qui cherche […] un écho dans les milieux dits radicaux au nom d’un anti-impérialisme de pacotille, prêt à justifier les pires dictateurs de notre époque. » Le Bulletin (libertaire) de critique bibliographique, qui « paraît au gré des lectures, des envies et des circonstances », revient par ailleurs sur un certain nombre de bouquins parus récemment. C’est de grande qualité, même si ici on aurait apprécié voir appuyer la critique à l’égard du dernier livre de Jean-Claude Michéa, dont la nostalgie aux contours parfois incertains et les cibles répétitives rejoignent si souvent les idées fixes des réactionnaires pontifiants.

Autre revue précieuse et confidentielle, Nous autres (peut-être en référence à Zamiatine, qu’on lira favorablement pour se prémunir des « grands philosophes » du type de celui cité plus haut) reparaît après deux ans d’absence avec en débat les stratégies de l’insurrectionnalisme et ses impasses, ainsi qu’un témoignage poignant sur le séisme de L’Aquila. (nousautres@ptitcanardnoir.org)

Toujours une impeccable tenue graphique et des contenus roboratifs pour le trimestriel Offensive. Une thématique au centre de ce numéro : l’Info en lutte(s). « Contrairement aux petits soldats du journalisme qui affichent une neutralité de façade et se tiennent à distance de leurs sujets, nous assumons et revendiquons notre subjectivité et notre appartenance au camp des minorités, des opprimé-e-s et des résistant-e-s. » Et de revenir sur les pratiques plurielles des médias auto-organisés, tels que CQFD… Ah oui, tiens, CQFD ! Dégotable en kiosque.

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