Daniel dans la fosse aux lions

Frappé par une contamination de ses cultures, un gros producteur provençal découvre le vrai visage du monde agro-industriel. Mais, comme beaucoup, au lieu de s’en prendre au système qui a causé sa perte, il va chercher des boucs émissaires ailleurs…

Les quelque 150 000 plants de poivrons cultivés sur sept hectares d’un seul tenant faisaient de Daniel un des plus gros producteurs de la région Provence-Alpes Côte-d’Azur. Et, pendant vingt ans, il s’en est fait, du fric !

Mais, en 2001, c’est la catastrophe : sa culture est entièrement fusillée par le Fusarium solani, un champignon présent dans le sol, pouvant devenir terriblement pathogène. Juste retour des choses après une monoculture aussi insensée ! Sauf que l’épidémie ne s’est pas propagée par taches qui se rejoignent, elle a affecté la totalité des plants simultanément, et, ça, c’est suspect. Toujours est-il que l’exploitation de Daniel ne s’en remettra pas : redressement judiciaire et liquidation s’enchaînent, jusqu’à la vente forcée de la maison d’habitation. Imaginez le jour de la vente aux enchères publiques : le prix de départ est fixé à la moitié de la valeur du bien, les agents immobiliers rappliquent, soupèsent vos objets, votre vie. Heureusement, le liquidateur judiciaire expose la situation : il y a plusieurs enfants, dont un gravement diabétique, qui risquent de se retrouver à la rue. Quant aux maisons voisines, elles sont habitées par les parents, le frère, les amis de Daniel. C’est sans doute ce second élément, rendant le bien invendable, qui « humanise » les agents immobiliers et les fait renoncer.

Mais il y a un gros rat, tapi dans l’ombre, qui surenchérit de 1 000 euros et laisse brûler la bougie jusqu’au bout : un agriculteur du Nord qui s’offre maison et retraite au soleil du Midi. Daniel, révolté, n’entend pas se laisser faire, refuse de quitter les lieux, et assigne en justice le pépiniériste qu’il soupçonne de lui avoir livré des plants contaminés. Ce dernier, un poids lourd dans la profession, fait marcher ses relations

par Nardo

pour se défendre. C’est d’abord un technicien de la chambre d’agriculture qui fait valoir que les visites du contrôle sanitaire n’ont rien révélé d’anormal. En réalité, ces visites ont eu lieu avant que les plants existent, et après leur départ des serres. Puis, comme Daniel s’obstine, la chambre demande une caution scientifique à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), qui prétend que, de toute façon, on ne peut détecter la maladie du Fusarium sur les jeunes plants. Le pépiniériste n’hésite pas non plus à faire signer, par des producteurs de poivrons qui sont ses clients, des attestations de non-contamination des plants ! Bien sûr, le tribunal est impressionné et Daniel condamné en première instance puis en cour d’appel.

En 2008, surprise ! Paraît dans un grand quotidien régional une interview du même pépiniériste se vantant de mettre sur le marché un basilic résistant au Fusarium, dont il détient le brevet : « J’avais en main plusieurs plants d’espèces différentes sur lesquels j’ai inoculé le Fusarium. Seul l’Ocimum kilimandsharium a montré sa résistance face au champignon. Après des années de recherche, c’est un rêve de jeunesse qui se réalise. » Quand on veut se faire mousser, il arrive qu’on parle trop. Daniel ne sera pas long à prouver que, pendant la période où il lui a vendu les plants, l’apprenti sorcier a dû faire face à une contamination généralisée des serres par le Fusarium : il fait saisir les factures montrant un achat massif de pesticides destinés à le combattre. Voilà des éléments nouveaux, cachés à la justice, qui décident la Cour de cassation à relancer la procédure : l’affaire sera rejugée à l’automne.

En attendant, Daniel, pour survivre, n’hésite pas à faire les sales boulots, comme nettoyer les fosses à merde. Des broutilles quand on est amené à descendre dans la fosse aux lions du capitalisme moderne. Il constate et déplore l’absence totale de solidarité entre paysans esclaves de l’agro-industrie. Il est devenu rebelle face à l’ordre établi, mais l’exprime de manière irrationnelle : tous ceux qui se sont ligués contre lui sont à mettre dans le même sac : « Tous des francs-maçons, des juifs ! ». Seul le Front national ne ferait pas partie du système ?

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