Foot populaire vs foot business
Stadium, piège à consomme
Le stade, haut lieu de la magie de l’exploit sportif et de la communion avec le supporter ? Foutaises. Souvent, ça ressemble plus à un centre de contrôle policier. Mais c’est surtout une machine à profit. Le très libéral cabinet d’audit financier Deloitte a décrété le stade de Manchester United le plus rentable du monde, avec 127,3 millions d’euros de recettes engrangées lors de la saison 2012-2013. Mais c’est moins que les ventes de retransmission télé et moins que le sponsoring. Il faut donc rendre les stades plus juteux et « maximiser leur potentiel commercial en intégrant une large gamme d’installations et d’utilisations », dit le Guide de l’UEFA pour des stades de qualité, paru en 2011. La vente des places aux tifosi, c’est petit joueur.
L’UEFA rappelle les classiques à soigner : loges d’honneur, zones VIP et même VVIP (very, very important persons, c’est à dire « hauts dignitaires, célébrités et personnalités politiques »), événements et séminaires d’entreprise, concerts et conférences, restauration de luxe, traiteurs et petits fours. Et les parkings qui « peuvent générer des revenus substantiels les jours de matchs, du fait de la possibilité de fixer des tarifs élevés ». L’UEFA préconise aussi d’ouvrir des succursales de banques, des agences de voyage dans le stade, tout en multipliant les boutiques vendant écharpes, maillots, chopes siglées, stylos, pendules, montres, jeux et statuettes, n’importe quoi à l’effigie des joueurs. Avec des kiosques disséminés, « les supporters ayant tendance à faire des achats spontanés lors de leurs déplacements depuis ou vers leurs sièges ».
Il faut aussi que le client s’y sente bien, pour craquer son fric : « Une variation de l’intensité de la lumière – naturelle ou artificielle – par exemple, peut servir à stimuler les sens […] Il existe toute une palette de techniques conceptuelles, (thermique, acoustique, visuelle, tactile et olfactive) pour stimuler les sens et renforcer l’impression de confort, consciemment ou inconsciemment. » Car voyez-vous, « les réalités commerciales imposent d’accroître au maximum le temps et l’argent dépensés par les spectateurs et les visiteurs lors de leur passage. La conception du site doit en tenir compte ». Il faut donc « ouvrir des bars, des restaurants et d’autres services pour encourager les spectateurs à dépenser plus d’argent sur place ».
Pour la touche écolo, un peu de panneaux solaires et la pluie à récupérer. Pour faire moderne, l’interconnexion est un must et les applis des billets dématérialisés foisonnent : renseigner le chaland à la seconde sur la circulation aux abords du stade, le guider vers sa place en tribune, l’inciter à commander un sandwich, lui fournir des statistiques, des ralentis, et même l’installer sur des sièges dont les housses sont couvertes de pubs « connectées »…
Mais l’idée qui tue, c’est le salon funéraire, jardin du souvenir ou cimetière (exemple à Hambourg) : « Il existe en effet des supporters qui aiment tellement leur équipe qu’ils demandent à reposer, après leur décès, dans un lieu qui a joué un rôle particulier dans leur vie. » C’est le dernier cri chez les présidents de clubs : si tu ne maîtrises pas le marketing post mortem, t’es mort.
Cet article a été publié dans
CQFD n°123 (juin 2014)
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Paru dans CQFD n°123 (juin 2014)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Charmag
Mis en ligne le 15.09.2014
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