Roman des origines

Radios libres : avant, elles étaient pirates

La couverture du n°160 de "CQFD", illustrée par Julien Loïs

1979, une date comme une chanson des Stooges… Une petite bande s’est mise en tête de créer une sorte de Radio Alice sur Marseille. Une radio pirate pour ruer dans le monopole étriqué de Radio France. Pas la première.

Dès 1976, il y avait eu Radio Active, à Grenoble, pour préparer la grande manif antinucléaire de Malville. Puis Radio Verte, à Paris et en Alsace. Les écolos de l’époque avaient du chien : c’est avec les pépettes des Amis de la Terre qu’on ira en Italie acheter un émetteur de 100 watts – bien qu’au début, on s’est contenté d’1, puis 10 watts, grâce aux doigts de fée de l’ami Fritz. On s’est d’abord appelé Radio Béton («  Le béton est armé, pourquoi pas vous ?  »). Branchés à une batterie de voiture ou de moto, on émettait en différé depuis un balcon, un toit d’immeuble ou les collines de La Batarelle. Transpercés par le mistral, le bras tendu comme une statue de la Liberté version surgelée, on arrosait les cités alentours de nos ondes aléatoires après avoir annoncé l’heure et la fréquence par voie de graffitis.

Il faut dire que le monopole étatique nous laissait un boulevard sur la bande FM. À part France Inter, France Musique et France Culture, c’était le vide intersidéral. À l’époque, on couvrait toute la ville avec 10 watts, et on a fièrement mis ce frêle émetteur à disposition des métallos des ateliers Terrin, en grève contre la perte sèche de 5 000 emplois dans la réparation navale.

Mesrine pour de faux

Au début, les émissions étaient pré-enregistrées sur des K7, le montage bricolé à la maison, avec le punk-glamrock de Gazoline ou les hoquets crypto-rockab’ d’Asphalt Jungle en bande-son. Notre principal fait d’arme : la diffusion d’une fausse interview de Jacques Mesrine qui aurait dû enflammer la jeunesse des quartiers Nord. Mais nous n’avons jamais su si quelqu’un l’avait écoutée… Ni si le fourgon de Télédiffusion de France (TDF) avait du mal à nous détecter ou si, bien au chaud dans leurs bureaux, les préposés à la censure rigolaient de nos expéditions nocturnes. Toujours est-il qu’on a fait partie, sans le savoir, des premiers frémissements de ce qui allait devenir le vaste domaine des radios dites libres, associatives et non commerciales.

Au tournant de la décennie, il y eut la chimérique Radio Pipo, « la radio des fifres », qui n’a jamais émis. Le harcèlement de TDF s’était fait plus pressant. À la fin, ses techniciens nous brouillaient au bout de cinq minutes, c’était frustrant. En marge, on a organisé le concert « Rock against police », à La Viste. Après l’élection de Mitterrand, il y aura la légalisation. Apparaît Radio Point Zéro, expérience radicalement féminine, si ce n’est féministe.

Et dans la foulée, Radio Provisoire (ancêtre putatif de Radio Galère) se lance dans le bain, prenant ses marques avant même d’y être autorisée. En 1982, ses locaux sont mis à sac par un commando de têtes d’œuf. Avant, il y avait eu des cadavres de rats dans la boîte aux lettres (avec ce message : « Mort aux rats de l’OLP ! »)… Ce sera au moins l’occasion de jolies soirées de soutien (« Fête la différence » et « Fête des ghettos ») avec les minots d’IAM, la gouleyante Clarence et son Massilia Sound System, étoiles montantes de la scène locale.

Haine des fachos

Puis naît Radio Galère, «  une radio antifasciste au cœur de Marseille  ». Avec Radio Gazelle et Radio Grenouille, la ville a trouvé ses trois points G. Logée dans des locaux bas de plafond sis au Grand Domaine, à deux pas de la porte d’Aix, entre Cimade et ateliers de cordonniers arméniens, Galère est stratégiquement située pour tisser des liens avec de jeunes « immigrés » du quartier, qui inventent les fameux « parloirs libres », donnant la parole aux enchristés des Baumettes et à leurs proches. Ce qui eut le chic de doper la haine des fachos. Ronald Perdomo, député et chef du Front national à Marseille, rageait grave : «  Radio Galère devrait être interdite et son autorisation d’émettre supprimée. On ne peut pas tolérer que des gens appellent leurs auditeurs à la lutte armée.  »

Juste avant leur légalisation, l’État avait prouvé aux radios pirates qu’il avait les moyens techniques de les réduire au silence. Au-delà des fondatrices galipettes illégales, c’est un certain rapport de force politique qui inaugure l’âge d’or des radios libres. Néanmoins, quand on voit aujourd’hui l’existence des radios non commerciales menacée par la suppression des contrats aidés et les coupes dans les subventions, on se demande si l’avenir n’exigera pas un retour à la piraterie.

Bruno Le Dantec (avec l’aide d’Étienne Bastide)
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