Tutelle du CSA
Droit de vie et de mort sur les fréquences radio
Il est rare qu’une fréquence hertzienne se libère. Alors quand le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) révèle en 2006 que deux d’entre elles sont disponibles au Pays basque, l’annonce bénéficie d’auditeurs attentifs. C’est qu’à l’exception des radios associatives basques, les émissions locales font plutôt pâle figure. Au menu ? Connivence avec les politiques locaux, temps d’antenne disproportionné au profit du rugby pro et médiocrité musicale certaine (France Bleu Pays basque en étant l’expression la plus aboutie).
La proposition du CSA semble à l’époque d’autant plus alléchante qu’elle évoque une « radio différente et locale ». De quoi faire rêver celles et ceux qui portent un projet numérique allant dans ce sens, œuvrant sur le Net en espérant – sans trop y croire – diffuser un jour sur la bande FM.
Parmi ces projets en ligne, deux se distinguent particulièrement. Radio Kultura, d’abord, une radio numérique à la qualité évidente, qui diffuse des reportages, des conférences et des portraits d’acteurs sociaux, syndicaux ou culturels. Sa force, c’est aussi son caractère bilingue, français et basque, unique ici.
Deuxième radio numérique rentrant pleinement dans la case « différente et locale » : I have a dream. Une station portée par un natif du Pays basque, Christian Borde, plus connu sous le nom de Jules-Édouard Moustic. Oui, le présentateur du Groland sur Canal+. I have a dream a pour elle d’être une radio musicale sans pub, sans virgule, qui diffuse 80 % de titres afro-américains. Une antenne foncièrement locale, aussi. Très loin de toute posture de VIP, Moustic participe en effet sur place à bon nombre de projets associatifs. Et aussi à Bal-2-Vieux, un duo DJ qui conjugue exigence sonore et auto-dérision.
Usine à gaz et coup tordu
Il faut ici rappeler que le CSA a été créé en 1989, pour remplacer la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), alors mouillée dans plusieurs scandales d’autorisation de fréquences à des groupes commerciaux. La fin des magouilles ? Pas sûr. Mais en tout cas, il faut désormais, pour présenter un dossier au CSA, se cogner tous les travers et toute l’absurdité des procédures bureaucratiques françaises. Créer une SCI. Justifier de quelques milliers d’euros sur un compte bancaire associé. Et remplir dans des délais court un formulaire complet (pour lequel on vous explique souvent, dans un second temps, que « des feuillets ont été égarés »...). Dans le cas du Pays basque, il faut ensuite se rendre à deux cents bornes de là, à Bordeaux. Plus exactement, à la CTR, délégation régionale du CSA, splendide usine à gaz rappelant avec force que l’État a encore des moyens pour asseoir son pouvoir et mener ses impératifs administratifs. C’est ainsi à Bordeaux que Moustic apprend que la CTR a finalement accepté 15 dossiers de candidature, dont le sien.
Mais (il y a toujours un « mais ») on l’informe aussi que le droit d’émettre se cantonnera à un périmètre géographique minuscule autour de Bayonne. Il se souvient : « Je me suis dit que ce n’était pas important. L’essentiel, pour moi, tenait dans un acte politique : faire entendre une autre voix, pour le bien de la cité. Qu’importe que son périmètre de diffusion soit tout petit, pourvu qu’on puisse proposer autre chose. »
Sauf que… coup de théâtre dans un déroulé très kafkaïen : Moustic découvre dans les colonnes de La Lettre de l’expansion — hebdomadaire confidentiel à destination des « décideurs politiques et économiques » – qu’il aurait l’intention selon les RG de monter une « radio proche des nationalistes basques ». Ambiance ! Après ce coup tordu, l’inanité de l’appel d’offre public du CSA se révèle : ce sont finalement Chérie FM et Skyrock qui décrochent les deux fréquences. Cerise sur les ondes : le périmètre d’audience est bien plus large qu’annoncé, dépassant le seul département des Pyrénées-Atlantiques. « On a eu le sentiment de s’être fait balader », s’indigne avec sincérité Moustic. Difficile de lui donner tort, tant le motif du refus qu’a opposé la haute autorité à son projet relève du grotesque : « Trop proche du contenu de France Bleu Pays basque », selon le CSA.
Servir les intérêts commerciaux
L’exemple de I have a dream l’illustre : le fonctionnement obscur de la CNCL perdure. Seule différence : le CSA pratique désormais l’ingénierie sociale. C’est-à-dire qu’il opère via des appels d’offres publics, en théorie transparents mais qui servent toujours les grands opérateurs commerciaux. Il satisfait ainsi in fine « les intérêts exclusifs des réseaux nationaux en facilitant leur extension au détriment des radios locales », regrette Hervé Rony, directeur de la Société civile des auteurs multimédia.
Mais attention : le Moustic est un animal coriace ! Pour dénoncer le poids des lobbys et le fait que la législation visant à maintenir l’existence d’un tissu de radios locales ou régionales n’était pas respectée, l’animateur de Groland est allé jusqu’au Conseil d’État. Il a hélas été débouté.
En filigrane de cette injustice évidente, une impression : dans l’administration française, la vision des radios libres comme « un germe puissant d’anarchie » (pour reprendre la formule de l’ancien Premier ministre Raymond Barre) reste vivace. S’y ajoute sans doute en toile de fond la volonté de maintenir une hégémonie culturelle bien jacobine. Rien de neuf : davantage que la plupart des autres États, la France concentre l’ensemble des médias dans un périmètre physique restreint, celui de sa capitale. Le fonctionnement de Sud Radio, propriété de l’influent cabinet Fiducial SA, en est une illustration criante : si la station est uniquement diffusée dans le sud de l’Hexagone, du Pays basque jusqu’à Marseille, c’est à Paris que son antenne est entièrement réalisée (sous l’égide de Didier Maisto, un proche de TV Libertés et des réseaux d’extrême droite). Un étrange statut, pourtant validé par le CSA en 2013. Voilà sans doute ce que l’instance de régulation considère comme une vraie « radio différente et locale »...
Des règles mouvantes
LE CSA a défini cinq catégories de radios sur la bande FM, selon leur vocation et leur contenu. De A, soit les « services de radio associatifs accomplissant une mission de communication sociale de proximité », jusqu’à E, soit « les services radiophoniques généralistes à vocation nationale ». Et l’instance est chargée de s’assurer que des catégories ne se substituent pas les unes aux autres : une radio classée E n’est pas censée reprendre la fréquence d’une antenne classée A.
En théorie, du moins. Parce qu’il n’en va pas toujours ainsi. Au printemps 2017, la haute autorité a en effet validé la prise de contrôle de RTU, une des plus anciennes radios libres de Lyon, par Radio Nova, station de l’homme d’affaires Matthieu Pigasse (notamment propriétaire des Inrocks). Une décision qui foule aux pieds les principes que doit normalement faire respecter le CSA. Et qui porte un vrai coup au pluralisme radiophonique. Pas une totale nouveauté, pourtant : en 2005 déjà, le CSA avait accepté que Radio Sauvagine, antenne libre bordelaise, soit reprise par Nova, pour devenir Nova Bordeaux. Le gendarme des ondes ne s’embarrasse pas toujours du respect des règles qu’il a lui-même édictées.
Cet article a été publié dans
CQFD n°160 (décembre 2017)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°160 (décembre 2017)
Dans la rubrique Médias
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Eugène Riousse
Mis en ligne le 12.10.2018
Dans CQFD n°160 (décembre 2017)
Derniers articles de Jean-Sébastien Mora