Confessions d’un engagé volontaire

Que vas-tu faire à l’armée, camarade ?

On l’appellera Claude. C’est mon ancien voisin. 26 ans, sympathique et réservé. Une famille moitié du centre de la France, moitié de Kabylie. À l’apéritif, sa conversation porte plus volontiers sur les luttes sociales que sur le football. Pas tellement l’image d’Épinal du bidasse de base. Pourtant, Claude veut s’engager : il a ses idées bien à lui sur l’armée. Entretien.
Par Baptiste Alchourroun

Qu’est-ce qui te pousse à t’engager ?

« À 18 ans, je faisais beaucoup de conneries et je suis passé à deux doigts du ballon. Je me suis dit : si tu continues, ça sera la rue ou la prison, alors je suis parti à la Légion. Un mois et demi d’incorporation et de service. Mais je n’ai pas pu rester parce que j’avais encore des jugements en attente et que, malgré le passé sulfureux de la Légion, ils sont très regardants sur le casier. Ils m’ont renvoyé à la vie civile.

Je suis rentré dans la restauration et je m’en sortais bien. J’avais des copains dans des groupes LGBT queer, avec qui j’ai beaucoup bougé. Ça m’a ouvert les yeux sur des choses sur lesquelles je pouvais être fermé. Puis, j’ai eu l’occasion de venir à Marseille. Je me suis imposé un cadre : ici je n’ai plus de potes, pas trop de thunes pour faire la teuf comme à Paris. J’ai du temps pour me préparer et réfléchir. C’est le bon moment pour me lancer. Et puis, ce qui a un peu accéléré les choses, c’est qu’un camarade est mort, au Mali, en novembre. »

Un camarade de la Légion ?

« Non, non, à Paris je faisais du graff et c’était un de mes meilleurs amis dans mon équipe de graff. Il était militaire depuis deux ou trois ans. Comme c’était sa deuxième projection au Mali, on n’était pas inquiets, sa famille non plus. Et puis, il y a un copain qui m’appelle et me dit que le camarade est décédé. J’ai cru que c’était une blague. Une semaine avant, on s’était parlé… »

Tu ne crains pas de te retrouver en opération de guerre ?

« Non, l’Opex [opération extérieure], je la fantasme plus qu’autre chose. Mon camarade, il a sauté sur un IED [Improvised Explosive Device, “bombe artisanale”]. L’IED c’est pas le plombier du coin qui l’a mis. Ça prouve qu’il y a vraiment quelque chose à aller combattre. J’ai envie de me confronter à ça. »

Ça ne te fait pas flipper ?

« Je ne sais pas. Enfin si. Le jour où je vais être devant l’avion, c’est sûr, je vais bien me caguer. Mais je serai à fond dans mon taf, à appliquer tout ce qu’on m’a appris de A à Z. Le régiment que j’ai demandé, il bouge tout le temps. C’est ça que je cherche, j’ai pas envie de me tourner les pouces. Bon, je sais que je vais être obligé de faire du Sentinelle en France. Ça me fait chier, mais c’est le boulot. C’est vraiment une mission de merde, qui sert à rien, à part médiatiquement. C’est la psychose terroriste. Du fard à paupières. »

Tu m’as dit une fois que tu étais patriote. Tu sais que c’est un terme très connoté extrême droite...

« Pour moi, être patriote, c’est aimer son pays, mais avant tout vouloir le défendre et tous les êtres humains qu’il y a à l’intérieur. Peu importe qu’ils aient des papiers ou pas. Malgré nos différences on est tous égaux ; bon, pas pour la richesse, hein, mais on est tous égaux. Que tu sois d’extrême droite, d’extrême gauche, centriste… T’es un être humain, je me dois d’être apte à te défendre, s’il le faut, jusqu’au sacrifice ultime. C’est ça le patriotisme. »

Et l’amour du pays, ça te vient d’où ?

« De l’engagement de mon grand-père en 1940-45. Je porte au pays le même amour que lui. Quand t’as un jeune de mon âge qui dit ça, les gens le mettent dans une case d’extrême droite. Sauf que non. J’ai été éduqué de façon musulmane, ce qui ne m’empêche pas d’aimer fortement les valeurs françaises – qui d’ailleurs ne sont plus trop mises en avant : quand tu vois que la France rechigne à accepter des migrants ou à ouvrir ses ports aux bateaux, moi ça me fait doucement rigoler… Pour moi, les valeurs de la France sont celles de mon grand-père, qui a arrêté ses études et est entré dans la Résistance. Pour défendre le peuple, les opprimés, les personnes de confession juive, les réfractaires au STO [Service du travail obligatoire]… J’ai été éduqué comme ça. »

Et dans ta bande, entre graffeurs et copains/copines LGBT, tu es le seul à avoir cet avis ?

« C’est une grosse bande, on se connaît depuis une quinzaine d’années. Y a un parachutiste, deux autres qui ne veulent pas être militaires mais qui respectent. Les autres, en grande majorité, sont très politisés ; mais selon moi, ils se mettent des œillères. Tout ce qu’ils entendent, c’est qu’un militaire est mort à l’autre bout du monde, que certains ont pu violer des gonzesses… Sûr, faut punir ces gens-là ! Qu’il y ait des fachos, ben oui, c’est comme partout, sauf qu’à l’armée, c’est dommage à dire, t’en as plus qu’ailleurs. Mes potes civils ne retiennent que ça, mais je me suis retrouvé dans un camp où tu as toutes les origines du monde, qui se battent pour la même chose. Sur cinquante bonhommes, t’en a trois qui sont fachos. Si t’enlèves les trois, derrière, t’en as quarante-sept qui sont géniaux. »

Les soldats qu’on envoie au feu sont des gens jeunes, souvent issus des classes populaires...

« Oui, tu as beaucoup de classes populaires. Parce que l’armée est un des seuls employeurs, avec McDo, qui nous acceptent sans études. Moi, je m’engage en tant que militaire du rang. Je pars de rien, j’ai arrêté l’école en quatrième, zéro brevet, zéro bac… et je peux finir officier, sous-officier. Bon, pas tout de suite, mais dans dix ans, peut-être. Cette barrière qu’on a dans le civil du fait que certains ont davantage de thune ou d’éducation, on la perd là-bas [lire aussi page V]. »

Tu n’as pas peur du racisme dans l’armée ?

« Une fois, on m’a dit : “T’es un bougnoule, toi, tu sais bien faire le café. Ben, va faire un café  !” Moi, je sais ce que je suis : je suis français. Ce problème de racisme, tu peux le rencontrer dans un bar, avec un patron, un collègue serveur ou un client. Bon, à la Légion, c’est une culture différente : t’avais des Russkofs, c’était la première fois qu’ils voyaient des Blacks de leur vie… Mais ils travaillaient avec eux tous les jours. Dans l’armée, on est obligés d’apprendre à se côtoyer.

Et si un gars dépasse les bornes, comme on est dans un milieu où il y a un peu de testostérone, on va dire, je lui en décoche une, il m’en décoche une, on se règle, on va au trou une semaine, deux semaines. On risque de devenir copains après, tu vois ? C’est con à dire, mais je sais que ça fonctionne plus ou moins comme ça…

On est une armée laïque, toutes les religions sont acceptées. Moi, je suis athée, mais mes collègues qui faisaient le ramadan et qui n’arrêtaient pas de se plaindre qu’ils avaient soif… Ben, gros, le fais pas ! T’as le droit d’avoir une religion, mais t’as pas à la montrer à qui que ce soit. »

Des policiers de culture musulmane se sont plaints récemment de la défiance de leurs collègues...

« Ils se méfient du mec qui se radicalise. Après, faut pas oublier que la police et l’armée, c’est totalement différent. Avec la police, j’ai beaucoup de mal… Tu vois, je me suis fait tatouer un 1312 [correspondant à l’ordre alphabétique des lettres ACAB, “All Cops are Bastards”, “Tous les flics sont des enfoirés”] étant plus jeune. J’ai une haine viscérale contre elle. C’est des gros cons fachos, pour la majorité. Ce sont surtout les grandes instances de la police nationale qui diabolisent l’islam. L’armée a une cohésion différente. La police, après leur service, ils rentrent chez eux. L’armée, non : tu restes avec tes camarades, tu dors avec eux. Sur un an, y a que quarante jours où on n’est pas ensemble. Alors, faut prendre sur toi. Je pense que cette cohésion, chez les pompiers, tu l’as aussi. Parce que c’est prendre des risques pour les autres. »

Pour ce qui est de ton engagement, quelles sont les prochaines étapes ?

« Je vais passer mes derniers tests et mon dossier sera envoyé en commission nationale. Si je suis pris, je vais faire mes classes dans mon régiment, trois mois. Et encore trois mois pour me spécialiser dans le métier que j’ai choisi. J’hésite encore, mais j’aimerais bien être dans une compagnie de reconnaissance : tu pars devant sur un véhicule blindé léger. »

Le risque maximum ?

« Ben, quitte à le faire… J’ai 26 ans, j’ai rien à perdre dans ma vie, si ça m’a fait chier dans cinq ans, ça m’aura recadré et je repars à zéro. Mais mon objectif, c’est de faire carrière. Et puis, même si j’arrête avant, je l’aurai fait à fond et je serai tranquille dans ma tête. C’est ça le plus important. »

Propos recueillis par Sébastien Dubost
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