Cap sur l’utopie
Pour un Noël païen
Le Démocratie du chercheur sourcilleux Samuel Hayat, aux éditions Anamosa, se base sur une chouette définition : « La démocratie est le pouvoir d’un peuple qui ne cesse de se reconstruire dans l’expérience collective d’un refus d’être gouverné. » D’où trois impératifs exaltés dans les soulèvements des derniers temps : prendre parti, refuser d’être gouverné, lutter contre la domination et contre toute forme de « dépossession du pouvoir de la plèbe ».
Beaucoup plus que dans le fort peu bandatoire Un désir de communisme de Bernard Friot et Judith Bernard (éd. Textuel) qui manque cruellement d’imagination et d’audace, les alternatives excitantes au rouleau compresseur du capitalisme néolibéral foisonnent dans L’Homme sans horizon de Joël Gayraud (Libertalia), sous-titré « matériaux sur l’utopie ». Soit l’anticipation d’un « monde pacifié, délivré de la tyrannie du travail, jouissant de l’abondance, un monde d’individus libres et librement associés en communes, conseils et assemblées de toute espèce ; un monde où le développement des capacités de chacun conditionne le libre épanouissement de tous ; un monde où les valeurs seront indexées sur les passions joyeuses ».
Dans un même état d’esprit, Utopies réalistes de Rutger Bregman (Points) se fait fort lui aussi de nous donner un avant-goût du monde jouissif à inventer ensemble. Mais si on ne peut qu’applaudir sa suggestion d’ouvrir grand les frontières, on n’est pas plus émerveillés que ça par d’autres points de son programme émancipateur – tels que la semaine de travail de quinze heures ou le revenu universel de base.
Pareillement, on peut rester perplexe quand le regretté anthropologue anar David Graeber, dans Bullshit Jobs (Les Liens qui libèrent), entendant bien privilégier le travail créatif dans sa société idyllique, proclame qu’il aimerait faire de la technologie un « outil de libération ». Tout à l’inverse du romancier british E.M. Forster qui, en 1909, dans un succulent brûlot réédité par l’Échappée, prescrivait à la luddite que La Machine s’arrête.
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Le Samuel Hayat, le Joël Gayraud, le E.M. Forster, c’est déjà ça mais qu’offrir d’autre encore pour pervertir mécréantesquement les fêtes de fin d’année ?
• La bio enflammante par Vittorio Giacopini d’Errico Malatesta (Lux), l’agitateur romain qui exhortait les pue-la-sueur en colère à transformer leurs « grèves à outrance » en authentiques insurrections.
• Le passionnant Homo Domesticus (La Découverte) de James C. Scott, l’un des plus fortiches historiens des « arts de la révolution ».
• Deux études claires et nettes comme torchette portant la griffe de Libertalia sur l’utopie en actes du Rojava : La Révolution communaliste d’Abdullah Öcalan et le collectif Hommage au Rojava.
• Le nouveau traité de savoir-vivre de Raoul Vaneigem, La liberté enfin s’éveille au souffle de la vie (Le Cherche midi). « À quoi bon dresser d’implacables réquisitoires contre l’État ? Il les repoussera du pied tant que ce pied, nous ne l’aurons pas tranché. »
• Et puis, cerise noire et rouge sur la bûche, une sacrée surprise, aux Éditions libertaires, fricassée splendidement par le fer de lance de la maison, l’indésarçonnable Jean-Marc Raynaud. Ça s’appelle La Verticale du fou et ça décrit d’irrésistible manière une conspiration armée alcoolico-anarchiste dans un HP (hôpital psychiatrique) dont l’objectif est, notamment, de « s’éveiller à cette folie qu’est l’intelligence politique et sociale » et d’être de ces « poètes qui rêvent tout haut d’un paradis sur terre et non d’un au-delà qui n’existe pas ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°193 (décembre 2020)
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Paru dans CQFD n°193 (décembre 2020)
Dans la rubrique Cap sur l’utopie !
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Mis en ligne le 11.10.2022
Dans CQFD n°193 (décembre 2020)
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