Pour que le Lieu-Dit vive

C’est dans l’adversité qu’on reconnaît ses amis, paraît-il. Depuis l’annonce d’une menace de fermeture pour raisons économiques, le Lieu-Dit, bar-restaurant de Ménilmontant et espace pluriel de réunions politiques, a su susciter une vague de solidarité remarquable en ces temps propices au repli.

Au départ, c’est un appel lancé mi-janvier sur Internet par l’éditeur Éric Hazan et le philosophe Frédéric Lordon qui sonne l’alarme : «  L’existence du Lieu-Dit est menacée, et nous ne pouvons pas nous en passer. » Ouvert en 2004, ce bar-restaurant est venu remplacer une agence immobilière sur les hauteurs de Ménilmontant. «  Pour une fois que ça se fait dans ce sens-là », s’amuse Hossein, le taulier de l’endroit. L’objectif premier était de créer un lieu de rencontres et de débats qui puisse se financer parallèlement par une activité économique, sans subvention aucune. »

Trois à quatre fois par semaine, la salle est mise à disposition pour des soirées-débats. La rue Sorbier est vite devenue un lieu de rendez-vous incontournable, où se réunissent aussi bien les séminaires de Pierre Dardot et Christian Laval, les Amis du Monde diplomatique, les AMG de Là-bas si j’y suis, la société Louise-Michel, la revue Ballast ou encore le Petit Salon du livre politique qui réunit, depuis neuf ans, une vingtaine d’éditeurs indépendants au mois de mai (Agone, La Fabrique, L’Échappée, Les Liens qui libèrent, Les Prairies ordinaires, Le Passager clandestin, Libertalia, Rue des Cascades, Syllepse, etc.). La crème de la gauche radicale parisienne en quelque sorte : « On accueille aussi bien le Parti de gauche que des libertaires, le collectif Attac ou les gens de Tarnac, précise Hossein. Je n’irai pas jusqu’à dire que ça fédère tous ces gens, mais l’espace réunit modestement les conditions d’une rencontre. »

Par Martin Barzilai.

Mais le resto n’est pas qu’un agrégat œcuménique de sensibilités, comme le rappelle Rémy Toulouse, éditeur à La Découverte : «  Le Lieu-Dit est un lieu ami, un lieu central, où échangent les tendances les plus diverses de la “gauche de gauche” ; un lieu qui témoigne d’une activité persistante de ces milieux et qui est en même temps – faut-il le regretter ? –, le signe d’un reflux considérable de la vitalité des organisations et des lieux d’accueil politiques traditionnels. La figure exceptionnelle d’Hossein est évidemment pour beaucoup dans cette vie “alternative”, mais il est indispensable que celles et ceux qui en font usage commencent à considérer qu’il s’agit d’un lieu “commun”, qui échappe largement à la sphère marchande. »

Même témoignage d’attachement avec la copine Charlotte Dugrand, des éditions Libertalia, lesquelles organisent régulièrement les présentations de leurs parutions dans l’endroit : « À l’heure où le Paris populaire et les lieux alternatifs sont en train de véritablement disparaître, le Lieu-Dit offre encore un espace de rencontre accessible, gracieusement mis à la disposition des organisateurs. C’est un lieu fédérateur où diverses tendances sont amenées à se côtoyer, à boire un verre et à refaire le monde le temps d’une soirée. Hossein est à l’opposé des patrons de bar qui veulent rentabiliser la salle en faisant deux ou trois services en une soirée. Il la prête pour les débats, il est donc important de le soutenir en retour, pour garder cet espace de discussion, digne des clubs du XIX e siècle ! »

Comme l’ensemble du secteur de la restauration, le Lieu-Dit a commencé à sentir les effets de la crise en 2010-2011. De surcroît, la place prise par les causeries impactait sur l’activité économique : « On a vite constaté que beaucoup de gens qui viennent aux débats, surtout les étudiants, n’avaient pas les sous pour profiter du restaurant, constate Hossein. Depuis 2013, les recettes ne sont plus suffisantes pour maintenir un équilibre financier et payer à la fois l’Urssaf, les salaires des six employés, le loyer, les fournisseurs. Le déficit s’est creusé. À la rentrée 2015, la situation était insoluble et angoissante, je n’avais pas d’autre solution que d’envisager de mettre un terme à cette expérience – aussi sympa soit-elle – et de revendre, de payer les dettes et de passer à autre chose. En même temps, symboliquement, je sentais que le Lieu-Dit n’appartenait pas qu’à moi. Hazan et Lordon m’ont finalement convaincu de lancer cet appel en soutien. »

Un article sur le site des Inrocks a donné suite à l’appel et a apparemment suscité la curiosité de nouveaux clients, qui ont la chance de découvrir la tarte tatin aux oignons rouges caramélisés avec son fromage de chèvre fondant et sa purée de patates douces. Sur les réseaux sociaux, l’appel en soutien a fonctionné et les réseaux militants ont assez spontanément pris l’initiative d’organiser une soirée de soutien le mercredi 27 janvier, où des centaines de personnes se sont serrées dans les lieux. « Mon parti, c’est le Lieu-Dit ! », a déclaré l’économiste Cédric Durand au cours de la soirée. « Il faut rendre au Lieu-Dit ce qu’il nous donne ! », a entonné la metteuse en scène Judith Bernard, présidente de l’asso de soutien.

« Depuis que cet appel a été lancé, je mesure combien il y a de sympathie pour ce lieu. C’est intense et enthousiasmant et je ne suis pas habitué à ça, confie Hossein en riant. Je suis même débordé par la charge émotionnelle de la chose. L’afflux de solidarité est aussi réjouissant par rapport aux idées qui sont défendues dans ce lieu. C’est vraiment pas rien. »

Chèques à l’ordre de l’Association des Amis du Lieu-Dit, à envoyer au 6, rue Sorbier – 75020 Paris.

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1 commentaire
  • 9 février 2016, 11:00, par Les Amis du Lieu Dit

    Merci de ce soutien. Sachez que le libellé pour les dons n’est pas tout à fait exact. Le libellé est : Association des Amis du Lieu Dit L’adresse est la bonne : 6 rue Sorbier 75020 Encore merci de votre soutien Que vive le Lieu Dit !

    • 11 février 2016, 12:28, par Julien Tewfiq

      C’est corrigé !

      Nos excuses.