Une tartine de pain sec avec un timbre, arrivée dans la boîte aux lettres ! On ne la croyait plus capable que de déverser des factures et de la pub. Ce clin d’œil à la poste, à une culture, une histoire, cultive un esprit goguenard et discret, pied de nez libertaire et international aux convenances, sans la ramener.
C’est la petite magie poétique de l’art postal, alias mail art puisque ce mouvement est né dans les années 1960 à New York, vite devenu un réseau mondial qui n’a ni chef ni maître à penser. Juste des listes, des échanges, des expos modestes et enjouées, mettant sur un pied d’égalité, sans hiérarchie ni exclusion, des artistes pros et des amateurs, des gamins des écoles, des partisans du collage, des gribouilleurs ou des petits futés jouant avec les règlements de la Poste ou l’humeur des facteurs chargés de déchiffrer l’adresse en rébus.
Un galet de plage avec une adresse et un timbre, un gant de toilette, une tranche de jambon sous vide, une boîte de conserve ratatinée par une bagnole, un bois flotté tel quel, tout est possible du moment que ça ne risque pas de blesser les facteurs. Le motif du timbre voit son graphisme prolongé sur l’enveloppe, on lui colle des rubans, on écrit sur une assiette de pique-nique en carton, on brode un nom sur un vieil emballage de rustines… Bricole, récupe, détournement, astuce, jeu avec les formes, un peu de transgression…
Les objets coupants sont bannis ? Une planche de lames de rasoir sous une couche de ruban adhésif. Et ça passe… Certains petits malins réalisent de faux timbres, rigolos ou militants (il y en a un qui s’oppose au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes), des tampons déconnants ou rageurs, sculptés dans une patate, du lino ou un bout de caoutchouc. D’autres jouent avec chemins, avenues boulevards et codes postaux en envoyant des lettres à toutes les adresses connues des Pieds Nickelés, d’Octave Mirbeau, de Marius Jacob, ou du Poulpe, juste pour le plaisir de se les voir retourner avec la mention « inconnu à cette adresse ». Certains postent un truc à une adresse imaginaire, nom, rue et ville farfelus, clin d’œil, qui sera donc retourné aussi : le nom de l’expéditeur est en fait l’adresse réelle, à qui sera renvoyée cette bafouille en forme de ricochet.
L’art postal se fout pas mal de la valeur marchande de l’art : expédié, confié à la poste, traversant des pays, l’objet plus ou moins plat est un don, une œuvre qui peut être exposée, montrée à l’autre bout de la planète mais pas vendue. Il y a des appels faits sur des thèmes génériques parfois tartignoles (« la paix », « les papillons »), parfois plus motivants ou joueurs (« la couleur rose », « femmes et migrations », « basta ! ») ou bizarre (« mathématiques de la planète terre »). Chacun peut lancer son propre projet, sans calcul, sans dépenser un sou. Pour le plaisir des échanges, les liens lointains au prix d’une oblitération. Sites internet et blogs permettent de montrer tout ce qui a été reçu, remplaçant les catalogues papiers renvoyés aux participants à ces nébuleuses d’envois postaux. L’art postal ne se fout pas du monde, il s’en affranchit.