Poète, tes papiers...

Il y a des beaux métiers à inventer. Comme celui de poète public. À la différence d’un « poète des rues » qui déclamerait son art à la volée, le poète public propose plus modestement des mots presque taillés sur mesure. C’est le cas de l’ami Antoine…

Lors d’un voyage à la Nouvelle-Orléans, Antoine voit évoluer des « débrouillards célestes, des fomentateurs de vies incroyables » qui vivent de boulots qu’ils se sont créés. C’est en croisant un de ces beatniks modernes posé avec sa machine à écrire sur une petite table en face d’un bar, qu’Antoine a le déclic : « Il m’est apparu évident que je pourrais le faire moi aussi et que je devais le faire aussi vite que possible. Étonnamment, parce que cela faisait dix ans que je n’avais pas écrit de poèmes. »

Revenu à Paris, il se trouve une vieille machine à écrire portative. « Durant trois mois j’ai tourné en rond, il pleuvait, j’avais le trac de m’y mettre, peur de ne pas y arriver. » Après une retraite méditative et préparatoire, il se jette à l’eau : « Je me suis installé à côté du centre Pompidou, à deux pas du métro Rambuteau. J’ai commencé à écrire frénétiquement. Au bout d’une dizaine de minutes, un passant s’est approché, il m’a demandé ce que je faisais là, ce que ça allait lui coûter, je lui ai dit de me donner un thème, que j’écrirais pour lui un poème, qu’ensuite il pourrait me donner ce qu’il voulait... je lui ai écrit un poème qui lui a plu. Et je suis devenu poète public. »

Comment trouve-t-on l’inspiration pour composer à la demande ? «  Nous sommes tous pleins de mots, répond Antoine, de résidus de discussions, de propagande, de lectures, de réflexions, de brouhaha... Lorsque l’on me donne un thème, par exemple « l’attente », je vais me concentrer et chercher en moi ce qu’est l’attente, ce que je sens, ce qui se passe en moi, alors que j’attends ; et piocher parmi les éléments qui me viennent, les moins niais, les mots les moins ampoulés, je vais viser au plus simple. Mais la plupart du temps, j’écris sur des sujets personnels. Souvent cela commence par “je veux un poème d’amour”, alors je questionne mon chaland : “et toi comment tu aimes ?”, “depuis quand l’as-tu rencontré ?”, etc… »

Qui sont au juste ces « chalands » qui prennent la peine de s’arrêter ? Une multitude d’intellos, de bobos, d’homos, d’étudiants, une « proportion déraisonnable » d’artistes et puis des prolos, des lascars, des clochards. « Et parmi tous ces gens-là, il y a évidemment les amoureux libres ou pas, les trahis, les désespérés, les juste-frappés-par-un-coup-de-foudre, les mariés, les justes-jetés, des amateurs de mots, des testeurs de performance. » Sans oublier la maison poulaga, insensible depuis toute éternité aux quatrains.

Une fois, alors qu’il tente d’expliquer la façon dont il procède à un patibulaire de police, celui-ci lui répond, tout fier : « Vous me faites un poème et je vous donne un timbre-amende [à mille cinq cents euros !]  » Gloups, ça fait cher la versification !

Au fait, comment lui paye-t-on ses vers ? « Les gens me donnent ce qu’ils veulent... Je ne veux pas que quiconque s’approche avec l’idée de se faire faire un poème et reparte bredouille parce qu’il n’a pas de fric… » Et puis l’aboutissement du poète n’est-il pas de contribuer à la rencontre des êtres, de sacrifier au hasard objectif et de sublimer les douleurs qu’on croyait enfouies ? « N’ai-je pas vu passer, se souvient Antoine, cette amoureuse qui, il y a dix ans, m’avait plaqué, me poussant vers une solitude forcée et vers l’écriture de mes premiers poèmes ? »

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Paru dans CQFD n°91 (juillet-août 2011)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada

Par Anatole Istria
Mis en ligne le 05.09.2011