Parcours du combattant
CE QU’IL Y A DE FOU dans le monde de l’entreprise, c’est qu’il y a toujours quelque chose qui s’y passe. Les patrons sont toujours à l’affût et veulent nous faire payer au minimum le fait de travailler, tout comme nous essayons de travailler le moins possible et de monnayer au maximum le temps que nous perdons pour eux.
Dernière trouvaille en date des patrons, le licenciement pour « inaptitude ». Ça permet aux patrons et DRH de se sentir les cuisses propres alors qu’ils lourdent sans états d’âme, non pas parce qu’ils veulent se débarrasser de quelqu’un mais parce que ce salarié ne correspond plus à ce que demande la société, pire, qu’il n’y a plus de place pour lui. Erik est un copain qui a été embauché dans la boîte, il y a trente-deux ans.Peut-être pas le meilleur élément aux yeux de la hiérarchie, mais il faisait son taf et était plutôt apprécié de ses collègues.Au bout de quinze ans dans l’usine de Rouen,il a fait une demande afin d’être muté à la raffinerie Total du Havre. Pour toute réponse Erik a été déplacé dans un autre atelier de l’usine rouennaise. Le problème, c’est que cet atelier était ancien et devait fermer un an plus tard. Du coup tout le personnel de ce secteur dut partir,par mesure de préretraite ou être muté un peu partout en France. La direction lui proposa Waziers dans le Nord, près de Douai, ç’aurait été trop simple qu’Erik soit envoyé au Havre.
Il se retrouva dans le Nord, ce qui entraîna son divorce ainsi qu’un certain accommodement avec la bouteille.N’empêche qu’il bossa (un boulot moins intéressant) et milita à la CGT. Au bout de dix ans, le site de Waziers ferma, lui aussi. Après des mois de lutte, Erik fit partie des mutés et retourna en Seine-Maritime, à Oissel, dans une vieille unité. Nouveau divorce. Et ce n’était pas fini : ça faisait à peine cinq ans qu’Erik était à Oissel que le site ferma également. Il se retrouva affecté de nouveau à son point de départ :l’usine près de Rouen.
Sauf que, depuis, son état de santé s’est plutôt dégradé, qu’il fait de l’hypertension, a des problèmes de dos et, même s’il n’est pas véritablement alcoolique,il ne crache pas dessus. Il ne peut plus faire les quarts ni porter de charges lourdes.
En arrivant sur le site, tout le monde savait (la direction aussi) qu’il ne pouvait pas faire certains travaux. Il fut placé à la manutention en système 3/8. Le médecin du travail l’a déclaré inapte à ce poste. La direction aurait voulu le licencier qu’elle ne s’y serait pas prise autrement, d’autant qu’il y avait des possibilités de travail à la journée dans d’autres secteurs.
Au bout de six mois, la direction ne lui proposa qu’un travail à Albertville, en Savoie. Lui qui avait été transbahuté sur diverses usines,fallait oser. En décembre dernier, Erik a été licencié sans préavis, avec un solde de tout compte a minima.
Après une période de dépression qui aurait pu faire que je vous aurais encore écrit une histoire qui finit mal, Erik a repris du poil de la bête et passe à l’attaque avec les Prud’hommes pour licenciement « sans cause réelle ni sérieuse ». Il devrait gagner facilement car la direction,par des tas d’irrégularités, lui offre un boulevard. Mais tout cela aboutira dans combien de temps ?
Reste qu’à l’usine une nouvelle menace de licenciement pour inaptitude se profile pour un autre copain. Ça n’arrête jamais.
Cet article a été publié dans
CQFD n°64 (février 2009)
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Paru dans CQFD n°64 (février 2009)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine
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Mis en ligne le 09.03.2009
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