Maison hantée
Marx squatte la Trump Tower
Au début, faut s’accrocher. Un peu. C’est que le premier chapitre de The Housing Monster – Travail et logement dans la société capitaliste attaque direct sur la distinction entre « travail vivant et travail mort », chère aux théoriciens de la valeur. Comme ça, boum. Alors certes, le style est fluide, les phrases sont construites de façon simple, et les références théoriques volontairement laissées de côté au profit d’exemples pratiques. Mais quand même, l’entrée en matière est un poil austère.
Ne pas en rester là, surtout. Parce que la suite, après quelques pages, est largement plus accessible. Et parce qu’au fil d’une vingtaine de chapitres (la plupart vivants et simples, quelques-uns plus théoriques) se dégage la classieuse ambition de ce livre à part : « Constituer une sorte de petit Capital illustré et appliqué à la question du logement », résume en avant-propos le collectif qui anime Niet Éditions, à l’origine de la traduction et de la publication en France de ce livre paru aux États-Unis en 2012 1. Et de poursuivre : « Le grand mérite de The Housing Monster est d’aborder la mécanique des rapports sociaux capitalistes en partant de l’expérience concrète et quotidienne des prolétaires – d’abord celle des travailleurs du bâtiment, puis de celle de tous ceux amenés à devoir payer pour se loger. »
Ce souci de coller au vécu traverse les 150 pages de ce beau bouquin, vaste tour d’horizon de la question du logement. Rien n’y manque. Des cadences de travail dans le BTP au problème du machisme sur les chantiers. Des difficultés d’accès au foncier aux logiques de gentrification. Ou encore, de la question du contrôle des loyers à celle des syndicats. Une petite encyclopédie pratiquo-marxiste qui finit par dessiner de façon générale « une critique limpide et révolutionnaire » des ressorts du capitalisme et de la lutte des classes.
« L’ouvrage est marqué du souhait de rendre simples et accessibles la théorie marxiste et celle de la valeur – des analyses qui semblent un peu vieillottes mais qui n’ont, en réalité, pas pris une ride. Notre objectif est de contribuer à les faire connaître. Et à fournir des billes théoriques aux gens qui s’investissent aujourd’hui dans les luttes urbaines », explique au téléphone l’un des membres de Niet. Une vulgarisation qui passe aussi par deux points essentiels, que la petite maison d’édition respecte depuis sa création en 2016. De un, proposer les tarifs les plus bas possibles 2 – « Tous les participants sont bénévoles, nous ne dépensons d’argent que pour imprimer les livres », poursuit le membre du collectif. De deux, réaliser de beaux ouvrages, parfaitement édités et joliment conçus – The Housing Monster n’y fait pas exception, qui compte pléthore de belles illustrations et affiche une élégante mise en page. Tout ça pour 10 €. Que demande le peuple ?
1 Et signé Prole.info, collectif qui a aussi rédigé le très chouette À bas les restaurants.
2 Les (très bons) livres de poche de Niet ne coûtent que 7 € ; les autres formats sont un tout petit peu plus chers.
Cet article a été publié dans
CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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Paru dans CQFD n°167 (juillet-août 2018)
Dans la rubrique Bouquin
Par
Illustré par Prole.info
Mis en ligne le 24.03.2019
Dans CQFD n°167 (juillet-août 2018)
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