Mais qu’est-ce qu’on va faire… des électeurs du Front national
Non, ce n’est pas une caricature ! Le gars a la vingtaine passée, les cheveux gominés en crête à la Beckham qui va bien, le survêtement et les chaussures de sports siglés d’une marque célèbre. Depuis des années, il ne cesse de faire des allers et retours en maison d’arrêt. Aujourd’hui, il bosse dans une petite entreprise de peinture où le patron emploie deux sans-papiers. Il se campe sur ses pieds : « Moi je vote Le Pen, parce que tu vois, y’en a marre que ce soit toujours les mêmes qui morflent ! Ça va être leur tour maintenant ! »…
L’autre a dépassé la trentaine. Il répare des appareils domestiques. Son teint, les marques sur sa peau, sa bouche vide de dents racontent son histoire : « J’ai fais quelques passages en prison… des conneries de jeunesse, comme tout le monde. J’ai pas mal dealé aussi… » Il soupire : « Je peux pas voir la gueule de cet Hollande. De toute façon, il n’y a pas le choix : il ne reste plus que Sarko, maintenant que Marine s’est faite jeter. Parce que, quand même, il ne faut pas oublier que c’est grâce au nain que je ne paie pas d’impôts sur mes heures supplémentaires. Ça me fait un peu d’argent en plus chaque mois, non ? » S’il ignore visiblement que ce dispositif a été supprimé par les sénateurs le 9 novembre 2011, il sait en revanche que d’après ses potes habitant Vitrolles l’ambiance était excellente quand le FN tenait cette ville provençale : « Au début, il y avait des contrôles sans arrêt. Puis au bout d’un moment, quand les flics ont commencé à connaître tout le monde, ça s’est calmé… »
Et puis il y a ce docker, accoudé au comptoir d’un bar de rouges. Entre deux verres d’alcool de poire, il raconte : « Moi, j’ai voté FN. La CGT est obligatoire sur le port. Et bientôt le FN aussi le sera. On est une soixantaine là en bas à avoir voté pour Marine. Ils nous ont trop enculés. On a été solidaires de tout le monde, même des intermittents en 2003, et résultat, quand c’est nous qu’on trinque, y a personne pour nous soutenir ! Et puis on en a marre de pousser les bagnoles des Algériens… » Il vide son petit ballon. « Mes gosses… Ils ont deux neurones et ils s’en servent même pas… Bien la peine de leur avoir payé des études… »
Con de pauvre ou pôvre pauvre ? 6,4 millions1 qu’ils auront été à voter Le Pen, le 22 avril. À côté des purs militants nostalgiques du pétainisme, le gros des électeurs du FN sont là, partout : ces voisins, passants, collègues de boulot ou de file d’attente à Pôle emploi, allocataires des aides sociales, habitants de territoires où ne vit aucun Magrébin… Ils composent le gros des contingents de l’aigreur et du ressentiment contemporains. Et ils réclament plus de flics, de taules, de contrôles, moins de syndicats, moins d’aides … pour les autres, bien sûr. Alors que le plus grand nombre d’entre eux fait partie du cœur de cible des technocrates de l’oppression. C’est vrai qu’il est moins périlleux de s’en prendre à ses congénères plutôt qu’aux puissants. Comme la mesure d’une époque où les lois de la concurrence auraient déteint sur les plus simples relations de voisinage. Wilhelm Reich définissait cette mentalité comme un mélange de « concepts réactionnaires s’ajoutant à une émotion révolutionnaire ». Cette « peste émotionnelle », qui agite des têtes ne supportant plus la vie qui leur est faite en même temps qu’elles s’effraient de leurs propres ombres, peut s’avérer volatile. Qui n’a jamais rencontré un de ces flippés, engagé par exemple dans une lutte collective contre la fermeture de sa boite et soudain se dit honteux de l’amer bulletin de vote qu’il avait lâché dans l’isolement ?
1 Sans compter leurs cousins en aigreur qui ont voté UMP.
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CQFD n°100 (mai 2012)
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Paru dans CQFD n°100 (mai 2012)
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Mis en ligne le 25.06.2012
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25 juin 2012, 11:27
Pourquoi ces propos anti-droite ? Anti extrême-droite ça pourrait se comprendre mais que viens faire l’UMP dans tout ça ?
26 juin 2012, 01:10, par rfz
Quoi ? on n’a pas le droit de toucher au nabot ? Cette infâme saloperie qui s’est fait un point d’honneur de soulever un débat sur l’identité nazionale. Cette racaille qui comptabilisait les expulsions de roms. Ce superman qui rapatriait tous les criminels, condamnés "injustement" à l’étranger. ... et j’en passe et des pires ...
Non, sans blagues, on n’a pas le droit de toucher à cette merde ?
"Anti extrême-droite ça pourrait se comprendre" Le conditionnel, ici, me débecte. Anti extrême droite, ça se comprend !
29 octobre 2013, 18:06, par Ce
Ce n’est pas gentil de parler ainsi de Manuel Valls...
25 juin 2012, 18:57
Peut-être parce que depuis quelques années il n’y a plus beaucoup de différences entre les deux ? Quand j’entends Guéant ou Hortefeux, franchement, je ne vois plus la différence entre la droite et l’extrême-droite.