« C’est compliqué ! »

Rien n’est simple. Et tout est compliqué. Et réciproquement. Quand, le 1er décembre, à Toulon, le tandem Sarkozy-Guaino nous brosse un tableau synthétique des évolutions du monde depuis quelques décennies : « La globalisation financière s’est installée pour compenser artificiellement les ravages que la mondialisation sans règle provoquait dans les économies des pays développés [afin] que les excédents des uns puissent financer les déficits des autres, […] pour que l’endettement puisse compenser la baisse inacceptable du niveau de vie des ménages dans les pays développés [et] pour financer un modèle social qui croulait sous les déficits », on ne peut douter un instant que la complexité de ces évolutions nous contraignent aux politiques d’austérité actuelles.

Par où le prendre, ce monde ? Qui en fabrique les rouages ? Comment en démêler les fils ? Où sont les failles de ce bloc monolithique générant une dynamique à laquelle l’on ne peut que s’adapter ? « Vous ne pouvez pas comprendre, les questions sont tellement complexes », répètent, à l’envi, hommes politiques, dirigeants d’entreprises et de banques, gens de pouvoir et médias aux ordres. La complexité de l’organisation moderne des sociétés ne serait-elle pas l’écran de fumée qui garantit le pouvoir des puissants tout en imposant le silence à ceux qui le subissent ? Et pourtant, ce labyrinthe dont, seules, les autorités détiennent les plans, s’avère souvent d’une banalité déconcertante. C’est sûr que si l’on écoute le milliardaire états-unien Warren Buffet – « Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous gagnons » – les choses sont beaucoup plus limpides. Néanmoins, cet éclaircissement-là, peut rester à son tour sans effet. Car, « C’est compliqué ! » ou bien « C’est bien plus compliqué que ça ! » ou encore « C’est pas si simple ! » On peut prendre, alors, un air pénétré. Se frotter le menton ou l’appuyer dans sa main. Regarder vers le lointain. Manifester de l’agacement. Hausser les épaules, et éventuellement soupirer en levant les yeux au ciel. Émettre un léger ricanement réussit fréquemment à déstabiliser l’interlocuteur. Ce verdict péremptoire demande le silence en prenant l’apparence hautaine d’une réflexion approfondie. Et voilà l’adversaire du « simplisme » qui, en voulant éclairer les esprits sommaires, démarre une logorrhée rhétorique où plus personne ne reconnaît les siens, y compris le conférencier lui-même.

Pour sortir de ce dédale, pourrait-on alors se tourner vers les professionnels de la réflexion ? Edgar Morin, peut-être ? Ne lui a-t-il pas fallu vingt-sept ans pour sortir six livres qui prétendent expliquer sa pensée complexe de la complexité de la réalité… forcément complexe ? Assez décevant en fait puisque le résultat de son remue-méninges serait : il faut réfléchir à ce qu’on dit avant de se prononcer, et savoir évaluer les retombées de nos actions. Tel Sisyphe, nous voilà donc condamnés à rouler éternellement le rocher de la complexité du monde pour le plus grand intérêt de ceux qui en vivent.

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire