Mais qu’est ce qu’on va faire de... la dissuasion nucléaire française
Le 19 juin dernier, Michel Rocard déclarait sur BFMTV : « C’est un serpent de mer. Tous les gouvernements depuis toujours et surtout tous les partis politiques qui font campagne disent toujours qu’il faut couper dans les dépenses publiques, elles ne disent jamais dans lesquelles. Alors, je vais jouer les provocateurs. […] On supprime la dissuasion nucléaire, 16 milliards d’euros par an qui ne servent absolument à rien. » Peu importe si, finalement, ce montant a été ensuite corrigé par nombre d’experts patentés. Le débat, très longtemps occulté, était lancé. Au point de forcer, dès le 4 juillet, le chef des armées normal à se faire hélitreuiller sur Le Terrible, fleuron de la Royale en matière d’atomisation de populations. Pour appuyer ce coup d’éclat au large de Brest, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, en visite au même moment et au même endroit sur un site d’assemblage de missiles intercontinentaux, affirmait : « Nous sommes dans le creuset de notre sécurité. Nos sous-marins en sont les garants ultimes. Notre force de dissuasion nous permet de tenir notre rang international. » Avant de lui-même embarquer sur Le Triomphant, autre bijou de technologie nucléaire.
C’est un pan entier de l’héritage gaulliste qui s’effrite, non sous les pernicieuses attaques d’écolos irénistes, mais du fait d’un pépère tranquille de la nomenklatura social-démocrate. Paul Quilès, ancien ministre de la Défense de François Mitterrand, a profité du coming out de Rocard, dont le père, rappelons-le, est considéré comme le fondateur du nucléaire français, pour vanter les mérites de son dernier bouquin1. L’argument principal des tenants de l’armement atomique est de présenter ces beaux engins comme une assurance-vie contre les menées ouvertement hostiles de certains pays. Ils n’oseront attaquer de peur d’être prestement renvoyés à l’âge de pierre. Pourtant, alors que nous ne risquons rien, un bouclier antimissiles au coût astronomique est en passe d’être déployé en Europe sous l’égide du grand frère américain. Le second argument met en avant le contexte de prolifération nucléaire observable dans le monde actuel et pas seulement en Iran. Mais l’on se retrouve alors devant une sacrée contradiction : alors que l’armement atomique est censé nous garantir un monde sans conflits majeurs depuis Hiroshima et Nagasaki, pourquoi demander à l’Inde, la Chine, le Pakistan, Israël, la Corée du Nord, le Brésil… de renoncer à apporter leur pierre nucléaire à cet édifice de paix ? Le troisième argument évoqué par Jean-Yves Le Drian, qui reprend pour l’occasion une vieille antienne gaullienne, insiste sur la puissance que ces armes de destruction massive confèreraient à la France sur l’échiquier international. Là aussi, cela ne tient pas étant donné qu’on est mat en trois coups par l’Allemagne ou le Japon, deux nations privées de tout arsenal en la matière. Le dernier argument majeur sur la question pointe le fait qu’il s’agit d’une arme de non-emploi. Ce qui a eu comme effet pervers le développement de toute une gamme de joujous non conventionnels, des armes thermobariques utilisées en Tchétchénie aux obus à l’uranium appauvri balancés pendant la guerre du Golfe, sans parler des mini-nukes dont Bush junior a lancé la production pour déloger les talibans de leurs grottes en Afghanistan. Allez ! Gageons que la crise « aidant », François Hollande finira par choisir la sauvegarde du modèle social français au détriment de la « grandeur » atomique de la France…
1 Paul Quilès, Nucléaire, un mensonge français – Réflexions sur le désarmement nucléaire, Éditions Charles Léopold Mayer, 2012.
Cet article a été publié dans
CQFD n°102 (juillet-août 2012)
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Paru dans CQFD n°102 (juillet-août 2012)
Dans la rubrique Mais qu’est-ce qu’on va faire de…
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Mis en ligne le 28.09.2012
Dans CQFD n°102 (juillet-août 2012)
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