L’édito du 197

Maccarthysme, épisode 3 247

Ceux « qui distinguent les gens en fonction de leur peau nous mènent vers des choses qui ressemblent au fascisme, c’est extrêmement grave ». Une fois n’est pas coutume, on a failli être d’accord avec Jean-Michel Blanquer le 19 mars dernier quand il a lâché cette phrase sur BFM-TV. Sauf qu’évidemment, le ministre de l’Éducation nationale ne parlait pas de crimes et de discriminations racistes, mais plutôt de personnes les subissant au quotidien...

Une polémique a beau en chasser une autre, le fond de l’air reste le même : après « l’islamogauchisme » qui gangrènerait l’université, c’est donc cette fois-ci l’Unef (Union syndicale des étudiants de France) qui se retrouve dans le viseur, au motif qu’elle organise des réunions en non-mixité raciale. Appels à la dissolution, accusations de séparatisme, de racisme, etc. : les réactions outrancières se sont succédé.

L’Unef, grand ordonnateur d’un projet de société dans laquelle les Blancs n’auraient plus droit de cité ? Que nenni, juste un syndicat étudiant qui tente d’inclure chacun et chacune en prenant en compte les discriminations systémiques que subissent certaines parties de ses troupes. L’idée étant de favoriser la libération de la parole en permettant aux premiers concernés d’échanger autour de ce qu’ils peuvent subir au sein du syndicat. À savoir, comme le liste Mediapart1 : « la remise en cause “constante” des compétences des représentants racisés, l’impression d’illégitimité qui en découle », le fait que « “la même idée aura toujours plus de poids si elle est émise par une personne blanche” ».

Les explications rationnelles n’ont pas suffi à dégonfler la polémique. Marine Le Pen a même osé donner des leçons d’antiracisme, arguant qu’il serait temps de « mettre fin à cette escalade raciste de la part d’une partie de l’extrême gauche qui s’affranchit de toutes les règles légales, morales et républicaines ». De l’art de siphonner les mots et d’inverser les stigmates... Si à gauche du PS, le soutien à l’Unef semble avoir été unanime, de nombreux cadres du parti à la rose ont rejoint la position de leur sénateur Rachid Temal : « Fétichiser la race, comme le fait la présidente de l’Unef, c’est du racisme ! À vomir. À combattre. »

Au milieu de cette gerbe brunissante, une tribune salutaire. Celle de Marie-Noëlle Thibault, ancienne syndicaliste à la CFDT2. Publié par Le Monde, son texte3 rappelle la mise en place au sein de son organisation, dans les années 1970, d’une « commission “travailleuses” » et de « sessions de formation et d’échange non-mixtes ». Et l’autrice de donner un exemple parlant de l’utilité de ce type de réunions : celui des ouvrières d’une usine textile du Nord, « à proximité d’un bassin minier ».

« Elles étaient majoritairement des filles de mineurs. Dans l’entreprise, on les appelait les “culs noirs”, parce que la mine et les mineurs sont sales, et que, disaient les contremaîtres, les filles de mineurs ne portent pas de culotte. Quand une nouvelle ouvrière arrivait de la région minière, les contremaîtres jouaient à celui qui arriverait le premier à lever sa jupe pour vérifier si elle portait une culotte. En avaient-elles déjà parlé au syndicat ? Non, jamais. Pourquoi ? Parce qu’au syndicat ce sont des hommes, on n’oserait pas, ils ne comprendraient pas. Et puis, les contremaîtres sont syndiqués. Des anecdotes comme celle-là, il y en a eu des dizaines en quelques jours. »

Un exemple entre mille de l’utilité que peuvent avoir les réunions non-mixtes dans la dénonciation des discriminations, qu’elles touchent au genre ou à l’origine ethnique. Ceux qui s’en indignent le plus n’ont certainement aucune hâte de voir ces oppressions remises en cause.


2 Et autrice, sous le nom de Dominique Manotti, de Marseille 73 (Les Arènes, 2020), un livre qui revient sur une vague d’assassinats racistes largement oubliée.

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