L’édito du n°237

Cyclone d’indifférence

14 décembre, Mayotte. Le vent souffle des rafales à 200km/h et fait trembler les murs. Dehors, des trombes de flotte et des vagues de plus de neuf mètres de haut. D’une violence inouïe, le cyclone Chido arrache toits, tôles et arbres, fauche maisons, routes, pylônes et plonge l’île dans l’obscurité. Quand le calme revient, les Mahorais·es découvrent un paysage dévasté, d’où se dégagera bientôt une odeur de cadavre.

En Hexagone, on reçoit des images du bidonville de Kawéni, vu du dessus. Regard surplombant. La plupart des médias adoptent les éléments de langage : «  on ne connaît pas encore l’ampleur de la catastrophe  ». Mots creux, à 8 039 bornes de la réalité. Cela aurait-il pu être évité ? La réponse est oui. « Compte tenu de l’étendue de l’habitat informel sur l’île [de Mayotte], le bilan victimaire d’un cyclone serait catastrophique », alertait en mars dernier le directeur de l’ARS mahoraise, auditionné pour un rapport parlementaire sur la gestion des risques naturels dans les territoires d’outre-mer.

Aux survivant·es qui, sans eau ni électricité, ne peuvent compter que sur leurs propres solidarités, Emmanuel Macron lancera : « Si c’était pas la France, je peux vous dire, vous seriez dix mille fois plus dans la merde. » Avant lui, François Bayrou aura eu la flemme de se déplacer. Avant lui encore, Bruno Retailleau se fendra d’un tweet pour pointer la source du problème : l’immigration. Sur place, les gens, eux, attendent les secours.

Dans un article de Médiapart, le journaliste Rémi Carayol se demande si l’État a «  tout mis en œuvre pour sauver des vies  ». Il fait lui aussi le rapprochement avec l’immigration. À propos des dizaines de milliers de mort·es dans la traversée depuis les Comores, il cite la chercheuse Nina Sahraoui : «  À Mayotte, la gestion de la migration révèle un nécropouvoir, en ce qu’elle expose à la mort. Et elle détermine les conditions pour la vie, en produisant l’illégalité d’une partie importante de la population de l’île. » Des « illégaux » dont la plupart n’ont justement pas osé rejoindre les abris d’urgence quand l’alerte sonnait, la peur au bide d’être raflés par la police.

Le 23 décembre, journée de deuil national, c’est le jour choisi par la macronie pour annoncer le nouveau gouvernement. Manuel Valls, le «  pire des étrons  »1, devient ministre des outre-mer. Avec une série de vampires de son espèce, ils forment un bataillon au pouvoir, puant la mort et la matraque. Les peuples ne sont jamais à leurs yeux qu’une masse pouvant crever la gueule ouverte. « Moi, je suis avec eux, comme j’étais avec le peuple de Paris, révolté, écrasé et vaincu », écrivait Louise Michel, en 1878, à propos des Kanaks insurgés. Puisse cette voi(x)e nous inspirer encore.


1 Merci à Jean Noël, l’auditeur de France inter, qui, s’adressant à Valls le 24 décembre, nous a fait le beau cadeau, de rétablir la vérité en direct.

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CQFD n°237 (janvier 2025)

Dans ce numéro, vous trouverez un dossier "Marseille : effondrements & mal-logement", une discussion avec des militants politiques chinois et taïwanais, un entretien décryptant la mécanique de la haine du fonctionnaire, des recensions, des articles formidables et... Youpi le Pen est mort !... tout un tas de considérations passionnantes sur notre temps et les raisons de tout brûler.

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