Logement : groupons-nous à deux mains

Pour trouver une solution collective au casse-tête du logement, il y a le squat, le squat… ou alors la coopérative d’habitants. L’habitat participatif en autopromotion, voilà le projet résolument social d’une joyeuse bande réunie fin 2011 à Marseille. Place aux Habeilles !
Par Rémy Cattelain

Sur un balcon surplombant une caserne squattée depuis plusieurs mois, les gens du collectif Place des Habeilles (PdH) préparent un théâtre forum pour ouvrir le débat autour de leur coopérative d’habitat groupé. Marie, jeune maman et architecte de formation, explique : « Nous avons répondu à une offre de terrain de l’Établissement public foncier (EPF) dans le quartier défavorisé de Saint-Mauront. Un contrat a été signé en juillet 2012 et PdH cédera son droit de propriété à un bailleur social, Pact 13, qui s’engage à construire douze logements sociaux sous la direction de notre architecte. » Alexia, chômeuse heureuse après avoir bossé dans une compagnie de théâtre de la Belle de Mai, a rejoint le groupe il y a un an, désireuse de « construire quelque chose de concret à courte échéance ». Youcef aussi est là depuis un an. « Le passé est notre avenir, j’ai envie de revenir à des formes anciennes de partage dans la durée, comme dans les familles élargies d’avant  », expose ce fana de vélo qui pense ouvrir un atelier de réparation dans les parties communes du futur immeuble. Directrice de centre social, Annie-Claude s’intéresse à l’habitat groupé depuis trente ans et est venue de Miramas à Marseille tout exprès pour participer à ce projet « écologique, multigénérationnel et ancré dans le quartier  ». Pour Philippe, retraité marseillais, il s’agit de « combattre la propriété privée, que j’ai en horreur ». En effet, « la coopérative sera propriétaire une fois que nos loyers auront payé le coût de la construction », une façon de contourner la législation française qui pousse à tout privatiser1. « J’aime le côté inventif de notre idée ! » Petit bémol, Jérémy n’est là qu’en soutien : « J’ai pas aujourd’hui les moyens de payer mille euros pour devenir membre de la coopérative. Mais si je pars d’ici, j’essaimerai ailleurs. » Lorenzo, kiné et accordéoniste, a déjà participé à un projet semblable à Rome. Ananda, prof des écoles : « J’adore mon boulot et Youcef ! Ma sœur habite dans un écovillage en Ardèche et je veux tenter une alternative en milieu urbain. J’ai été propriétaire d’un appart avec mon ex, on ne m’y reprendra plus ! »

« La coproduction du bâtiment est au cœur du projet, la dimension humaine et sociale est prise en compte à chaque étape », affirme la charte des Habeilles. L’architecte accepte de travailler lentement, avec des allers-retours, pour une conception collective des plans. Il pense que l’architecture peut jouer un rôle dans le changement social, en encourageant les rencontres et les solidarités. « Avec la crise du logement, il y a un regain d’envie de s’associer, comme du temps des Castors à la Libération, plutôt que de suer dans son coin à payer sa petite maison, souligne Philippe. Pour cela, il faut contourner la loi Chalandon, qui donne l’exclusivité aux promoteurs. » Les limitations légales poussent souvent ce genre de projet à se recroqueviller sur une sorte de copropriété avec juste un local commun. Les Habeilles veulent aller plus loin : des coursives, un salon, trois chambres d’amis et une buanderie seront collectifs. Le rez-de-chaussée sera occupé par l’atelier de Youcef, les autres locaux pouvant être loués afin d’aider à payer l’immeuble – le bail avec Pact 13 court sur cinquante ans. Comme le souhaite la charte de PdH, « l’enjeu est de combattre la spéculation, de faire des logements accessibles aux ménages les plus modestes, permettant une diversité d’habitat et de voisinage ».

Bien au-delà des problèmes financiers et juridiques, la viabilité du projet dépend d’une greffe réussie dans le quartier. En attendant, le soleil est au rendez-vous et l’accordéon de Lorenzo improvise une java serrée.


1 En Allemagne, par exemple, les coopératives d’habitat ne deviennent jamais propriétaires du bien, qui reste entre les mains de la collectivité locale.

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