18h30, l’hiver a déjà jeté sa nuit sur les coteaux de Jurançon (Pyrénées-Atlantiques). Au bas, dans la vallée, par-delà le gave de Pau, on devine les lumières de la ville de Billère. « Ici on côtoie la France d’en haut », ironise Rémi en remontant sa petite lampe mécanique pour éclairer le chemin terreux.
On passe devant deux maisons, notamment l’ancienne villa du directeur à l’époque où les locaux étaient encore en activité. Tout est plongé dans le noir. « On n’a pas d’eau ni d’électricité mais un groupe électrogène pour les concerts. » Pendant vingt ans, le Nid béarnais a fait office de structure d’hébergement et de soins pour minots polyhandicapés avant d’être relocalisé sur le site de l’hôpital de Pau. Depuis 2007, les bâtiments sont donc abandonnés et les terres laissées en friches. « Au départ, la Croix-Rouge, propriétaire, a fait surveiller les bâtiments par des gardiens. Puis les gardiens sont partis et tout a été vandalisé », explique Julien. On discute dans une grande salle. C’est ici que les squatters se réunissent une fois par semaine pour décider collectivement des activités à entreprendre : depuis les travaux de réhabilitation jusqu’aux projets artistiques en passant par les opérations de récup’ de bouffe dans les poubelles des magasins environnants.
Quelques mois avant d’investir le Nid béarnais, certains s’étaient déjà fait la main en ouvrant un lieu dans le centre de Pau. D’un bâtiment abandonné était née La Grange, squat artistique mais pas que, puisque l’endroit comprenait aussi une friperie, une brocante… Ce petit labo de débrouille et d’expérimentation sociale fit cependant long feu : après un bref temps de tolérance, tout le monde fut viré et les locaux promis à la démolition.
Qu’importe ! Début novembre, la poignée de départ se trouve rapidement rejointe par des personnes d’horizons différents pour occuper les coteaux de Jurançon. Smartis : « Parmi nous, il y a des keupons mélangés à des hippies, des anarchistes, des lesbiennes féministes, des indépendantistes occitans. » C’est d’ailleurs à l’initiative de ces derniers que le lieu est rebaptisé : Lo Nid biarnés. Lili y a posé son camion il y a quelques semaines : « Dans la société actuelle, tout se négocie sur la base de prestations. Ici on veut fonctionner différemment : sur le bon vouloir de chacun et en partageant les savoirs. » Recherche permanente de cet équilibre précaire entre épanouissement individuel et engagement collectif. « C’est pas parce qu’on vit en marge qu’on n’a pas de règles, rappelle Smartis. On ne peut fonctionner que sur la base d’un respect mutuel. » Et incidemment avec l’accord, au moins tacite, du propriétaire des lieux. Sauf que la Croix-Rouge ne l’entend pas de cette oreille et c’est sans rougir que la magnanime association humanitaire a déposé fin novembre un référé devant le tribunal d’instance de Pau pour dégager ces occupants « sans droit, ni titre [2] ».
Lors de l’audience du 11 décembre, la généreuse institution se montre d’une étonnante férocité puisqu’elle réclame une expulsion immédiate – sans tenir compte d’une quelconque trêve hivernale – ainsi que 1 000 euros de dommages et intérêts pour de prétendus dégâts occasionnés. « C’est quand même paradoxal quand on sait les valeurs qu’est censée défendre cette association, notamment en matière d’aide aux plus démunis ! », s’exclame Julien. La directrice (par intérim) du nouvel établissement de la Croix-Rouge, Valérie Irrigarai, croit se justifier en expliquant que les bâtiments sont à vendre et que trois acheteurs potentiels seraient déjà sur les starting-blocks. Vu le prix du foncier sur les coteaux de Jurançon, il n’en faut pas plus pour donner corps à des rumeurs de culbute immobilière…
Sur place les occupants du Nid organisent la résistance en invitant le populo local à venir les rencontrer. Au programme : discussions, repas chaud, visites guidées et concerts. Le but est de contrer par la pratique les reportages racoleurs de la presse locale. Du 28 janvier au 3 février, ils ouvriront les portes du Nid pour un chantier populaire collectif. Pendant ce temps, la Croix-Rouge soigne sa communication [3] en direction des plus pauvres. Sur son site Internet…