Rochefort-en-Terre, village solidaire
Libérez Vincenzo !
« Dernier black bloc fugitif parmi les condamnés pour les troubles du G8 à Gênes », selon la presse italienne, « altermondialiste », « activiste en cavale », « antifasciste », « militant anarchiste », d’après la presse française... Les qualificatifs se bousculent pour enfermer Vincenzo dans ces catégories. L’Italien de 46 ans, peintre en bâtiment, est sous le coup de deux mandats d’arrêt européens pour sa participation à la manifestation contre le G8 à Gênes en 2001 et à une manif antifasciste non autorisée à Milan en 2006.
C’est d’abord « un grand copain », insiste Anne-Marie, membre du comité de soutien1 de Rochefort-en-Terre, qui s’est instantanément bougé dès la nouvelle de l’arrestation, survenue le 8 août. Depuis, d’arrache-pied, une centaine de personnes se réunit chaque soir à La Pente, le café associatif du village, pour organiser la défense de cet ami, de ce voisin apprécié. « C’est incroyable et génial ce qui se passe à Rochefort, continue Anne-Marie. Vincenzo a fédéré autour de lui tout un café plein de gens hétéroclites, de toutes les générations, politisés ou non... » Au-delà de ce bourg du Morbihan (élu « village préféré des Français » lors d’une émission-jeu de France 2 en 2016), d’autres chaînes de solidarité se mobilisent des deux côtés des Alpes, notamment grâce à un réseau de chorales.
« On est exténués, mais plus mobilisés que jamais », confiait Jean-Pierre, un des porte-paroles du collectif, à la veille du vendredi 30 août, où des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes. C’est grâce au travail juridique effectué par le collectif et fourni clés en main à la justice française que la remise de Vincenzo aux autorités italiennes est aujourd’hui en suspend. Le 23 août, la cour d’appel de Rennes a demandé un supplément d’informations auprès des autorités transalpines, « en vue notamment de vérifier que la décision italienne a été rendue dans des conditions respectant le principe contradictoire et de s’assurer que la peine n’est pas prescrite ». Malgré ce sursis, Vincenzo reste en prison : la justice doit statuer le 26 septembre sur sa remise en li liberté.
Ce qui a d’emblée choqué les amis de Vincenzo, c’est la disproportion des peines et l’arrière-plan législatif douteux : Vincenzo a été condamné sur la base du code Rocco, un ensemble de lois datant de Mussolini et remis au goût du jour par Berlusconi, qui permet de sanctionner la simple présence à des manifestations considérées comme insurrectionnelles. Ainsi, aucun fait précis n’est reproché à Vincenzo, mais un putatif « concours moral » à l’émeute. « C’est en vertu de cette loi que Vincenzo et neuf autres militants, baptisés les “dix de Gênes”, ont écopé de peines très lourdes allant de huit à quinze ans de prison », a souligné le collectif dans une première lettre ouverte. À leur procès, les avocats italiens s’étaient indignés de la « disproportion abyssale des peines entre des dommages causés à des biens et ceux infligés à des personnes ».
Car, politiquement, il s’agissait de faire rendre gorge à toute velléité d’opposition à la marche du monde. Une volonté d’intimidation à laquelle Vincenzo refuse toujours de céder : « Je m’honore d’avoir participé en homme libre à une journée de contestation contre une économie capitaliste », avait-il déclaré devant ses juges en 2009. En 2012, un arrêt2 de la Cour de cassation italienne l’a condamné à onze ans et six mois de réclusion pour « dévastation et pillage ». Devant ce verdict hallucinant, Vincenzo a préféré prendre la tangente et franchir les Alpes, pour atterrir en Bretagne.
Autres turpitudes de la justice politique italienne relevées par le collectif morbihanais : Vincenzo a été interpellé sous le coup de deux mandats d’arrêt, l’un concernant le G8 de Gênes, le second sa participation à une contre-manifestation contre un groupe néo-fasciste à Milan en 2006. Or, seul le mandat de Gênes, bien qu’ » incomplet et inconsistant », serait valable ! En effet, l’affaire de Milan avait déjà été jugée et la peine purgée en 2009 (sept mois et demi de prison ferme, trois ans de remise de peine et six mois en résidence surveillée chez ses parents) ! « Le mandat d’arrêt européen (MAE) concernant Milan est une grossière manipulation, dénonce le collectif remonté comme un coucou, dans son communiqué du 28 août. Nous avons la preuve, grâce aux avocats italiens, que Vincenzo a d’ores et déjà effectué cette peine. La justice italienne ne pouvait pas ignorer la décision de la cour d’appel de Milan du 9 janvier 2009 qui certifie l’exécution de la peine. Or le MAE ne peut pas être demandé pour une peine déjà effectuée. La justice italienne a donc sciemment menti, fait preuve de déloyauté et a volontairement chargé Vincenzo Vecchi. La justice italienne se moque de la justice française, se moque de nous : c’est inacceptable ! »
À Rochefort-en-Terre, Jean-Pierre espère que la prochaine étape sera la mise en liberté de Vincenzo sous contrôle judiciaire avec bracelet électronique. Une étude de faisabilité est en cours. « On a pu fournir 50 attestations de moralité et plusieurs promesses d’embauche au besoin, l’avocat n’avait jamais vu ça ! »
Après l’extradition de Cesare Battisti3 depuis la Bolivie en janvier 2019, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini avait annoncé d’autres butins : » Désormais, les terroristes ne restent pas impunis, et ce n’est qu’un début. » Avec ou sans Salvini aux manettes4, la France va-t-elle livrer Vincenzo aux autorités italiennes et entériner de facto une législation qui remonte à l’époque du fascisme ? Le pire n’est pas certain, mais, compte tenu du lourd contexte de répression vis-à-vis des mouvements sociaux, cela n’aurait rien de surprenant… Hélas !
Gênes aux entournures
Outre la mort de Carlo Giuliani, jeune manifestant abattu à bout portant par un policier lors des émeutes, plusieurs centaines de personnes avaient eu à subir une répression féroce, d’un caractère inédit depuis l’époque du fascisme. Dans les locaux de l’école Diaz (qui tenait lieu de dortoir pour les manifestants) ou à la caserne militaire de Bolzaneto, centre de détention provisoire, il a été fait état de multiples coups et blessures aggravées infligés par les forces de l’ordre, de fouilles arbitraires, de menaces de viol, d’actes de tortures physiques et psychologiques, de falsification de preuves, etc. Certains serviteurs de l’État ont fini par admettre le degré de brutalité policière de ces événements : « Je le dis clairement, il y a eu des actes de torture. De torture... », déclarait l’actuel chef de la police italienne, Franco Gabrielli, au journal La Repubblica en juillet 2017.
Citons un témoignage parmi d’autres : « “Dans la caserne de Bolzaneto ils nous ont frappés sauvagement pendant seize heures d’affilée. Vous appelez ça comment ? Moi je dis que c’est de la torture. Ce que je n’oublierai jamais, c’est le visage souriant des agents qui, auparavant, dans la rue, rouaient de coups de pied des jeunes filles de quinze ans, déjà arrêtées et pieds et poignets liés. […] Et ils m’ont forcé à marcher au pas en faisant le salut fasciste.” Qui parle ? Riccardo, fils de fonctionnaire de police (son père a porté plainte avec lui), se définit lui-même comme sympathisant de droite et ne manifestait même pas lorsqu’il a été pris dans une rafle des carabiniers. »5
Comme un injuste retour de bâton ? ■
1 Comite-soutien-vincenzo.org. Page Facebook : Soutienvincenzo.
2 Ses avocats français n’ont à ce jour pas pu consulter cet arrêt.
3 Voir « Comme une bête féroce », CQFD n° 173, février 2019.
4 À l’heure où ces lignes étaient écrites pour la version papier de CQFD, une nouvelle coalition gouvernementale était en cours de formation en Italie, excluant la Lega, le parti de Salvini. Cette nouvelle coalition a depuis été intronisée.
5 « Les justes et les brutes : la littérature de témoignage sur les violences de Gênes 2001 », Mouvements, 2004, n°33-34.
Cet article a été publié dans
CQFD n°179 (septembre 2019)
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Paru dans CQFD n°179 (septembre 2019)
Dans la rubrique Actualités
Par
Illustré par Vincent Croguennec
Mis en ligne le 07.09.2019
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