À Bure & ailleurs

Les antinucléaires irradient encore

Dans tout l’Hexagone, la même question : « La France nucléaire, vous y tenez ? » Et des réponses qui ont redonné le sourire aux militants de l’Atomik Tour. Après des mois de déprime sur le front antinucléaire lorrain, l’énergie est de retour. L’été a été des plus actifs, l’automne promet tout pareil.
Par Damien Roudeau

Non, l’Atomik Tour n’avait pas pour but d’admirer le paysage et de goûter les spécialités locales. Non, l’antique caravane vedette tirée par une (non moins vieille) camionnette ne visait pas la piste aux étoiles. Et non, ce tour de France en 50 étapes, qui s’est tenu du 15 janvier au 8 août de Lunéville à Dijon en passant par Biarritz, Colmar, Narbonne ou Metz, n’avait pas pour but de tester la résistance à la fatigue des membres du convoi – des militantes et militants en majorité lorrains.

Le calendrier était pourtant très serré. Chaque étape, entrecoupée d’une journée de voyage, durait trois jours : une soirée réunion avec les forces vives locales, une soirée « conférence projection débat » ouverte à tous et une journée à la rencontre des passants dans des lieux publics.

Cette aventure, inédite dans l’histoire du combat antinucléaire, avait d’abord pour objectif de poser une question simple aux habitantes et habitants du pays : « La France nucléaire, vous y tenez  ? » « L’idée était de prendre la température, en essayant d’orienter au minimum les réponses, pour comprendre le rapport-attachement à cette énergie, expliquent Aymeric, Angélique et leurs amies. On voulait être les plus neutres possible. »

Tous contre l’atome (ou presque)

Le résultat fut sans appel : « On a vu que plus on se rapprochait des installations nucléaires, plus les gens étaient pour l’atome, ce qui s’explique par les emplois et l’argent déversé aux collectivités. Mais on a surtout découvert qu’une écrasante majorité de la population était contre. On ne s’attendait pas à ce que ce soit dans de telles proportions. Quant aux pro-nucléaires, il suffisait d’aborder la question de la gestion des déchets pour les voir douter, et même conclure qu’il n’existe aucune solution sérieuse et responsable pour les traiter, puisque les enfouir à 500 mètres sous terre1 annonce une catastrophe future, comme il y en a déjà eu en Allemagne et aux États-Unis. »

Certes, la joyeuse troupe a fait escale dans des lieux de lutte comme l’Amassada et son combat contre l’éolien industriel (en Aveyron), les Lentillères et leur opposition à la bétonisation du monde (à Dijon), Notre-Dame-des-Landes et sa résistance à la normalisation de ce que la ZAD fut, ou encore ce qu’il reste de la zone à défendre installée sur la route du grand contournement autoroutier de Strasbourg.

Mais la plupart des points de chute n’avaient rien de combatif ou militant : des places publiques, des rues piétonnes voire commerçantes, des entrées de supermarchés, etc. Cette statistique d’ » écrasante majorité » est donc bien plus qu’une impression issue de l’entre-soi militant.

Et ce qui a été récolté n’a pas de prix : des milliers de messages inscrits sur des feuilles, plus d’une centaine d’heures de témoignages et de réflexions filmés, des dizaines d’heures de débats enregistrées. Un documentaire réalisé collectivement sortira cet hiver. Une version de travail a déjà été montrée lors du rassemblement des comités de soutien aux opposants à Cigéo-Bure2 aux Tanneries (Dijon) le 8 août, et lors de la deuxième édition des Bure’lesques du 9 au 11 août.

Le bois Lejuc (brièvement) repris

Ce festival, qui a attiré des milliers de personnes dans la Meuse, a remis du baume au cœur des associations et activistes engagés dans la lutte sur place. Parce que ces derniers ont été marqués par une intense répression, que même la Ligue des droits de l’Homme (LDH) qualifie de « harcèlement » qui « porte atteinte aux libertés individuelles »3. Les contrôles, interpellations, pressions policières de toutes sortes à Bure sont toujours d’actualité. Loïc, emprisonné suite au G20 à Hambourg (juillet 2017), attend toujours d’être jugé dans sa geôle allemande plus d’un an après avoir été emprisonné. Et un autre militant vient d’être écroué à la prison de Nancy-Maxéville suite à la tentative de réoccupation du bois Lejuc en juillet4.

Les 18 et 19 juillet, une trentaine de personnes ont en effet repris possession de cette forêt où l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) souhaite construire les puits de ventilation de Cigéo (s’il se fait). Le bois avait été occupé durant un an et demi, puis violemment expulsé en février 2018. Cette tentative estivale n’aura duré qu’un peu plus de deux jours, mais elle aura permis de montrer que la détermination des opposants n’est pas morte, à quelques mois de la déclaration d’utilité publique et de la demande d’autorisation de création à l’Assemblée nationale pour le projet de site d’enfouissement.

Chahuter le « débat » officiel

Si les membres de l’Atomik tour ont découvert lors de leur périple les inquiétants rachats de terres par EDF autour des centrales existantes5 et l’ampleur des doutes de la population sur le nucléaire, ils n’ont pas été surpris de goûter eux aussi à cette répression qui touche toutes celles et ceux qui luttent contre cette énergie, avec une présence policière sur beaucoup d’étapes et même des interpellations suivies de gardes à vue du côté de Gravelines (Nord).

Aymeric, Angélique et leurs amies ont également eu la confirmation que le mouvement des Gilets jaunes avait bien une fibre écologiste. Et qu’il était urgent de proposer une alternative à la cinquième édition du débat public officiel sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs que l’État et l’industrie nucléaire ont lancé le 17 avril et qu’ils prévoient de tenir jusqu’au 25 septembre. « C’était l’un de nos objectifs : proposer autre chose que ce cirque officiel. À Bure, on sait mieux que quiconque que les débats publics ne servent que de vernis démocratique, puisque les fortes oppositions à Cigéo exprimées en 2005 puis en 2013 par les habitants ont été balayées et jamais prises en compte. »

Dans ces conditions, chahuter ces réunions officielles, comme ce fut le cas à Lille et à Bar-le-Duc (Meuse) en juin, ne serait pas forcément une mauvaise idée… Pour info, plusieurs dates sont prévues en septembre6 : Paris les 9, 11, 24 et 25, Gravelines le 12, Troyes le 17, Lyon le 19.

Sébastien Bonetti

Bure : à l’agenda !

21 et 22 septembre

Rassemblement antinucléaire et féministe en mixité choisie sans hommes cis près de Bure. Pièces de théâtre, films, ateliers d’autodéfense féministe, chorale, marche bruyante, animations pour enfants, etc. Plus d’informations sur Bombes atomiques.noblogs.org

28 septembre

Grande manifestation annuelle contre Cigéo à Nancy, 14 h, cours Léopold. La veille, en banlieue, à la salle des fêtes de Vandœuvre : concerts, banquet, village associatif, assemblée interluttes, etc. Possibilité de camper pas loin. En savoir plus : Ventdebure.com.

21 au 27 octobre

Pour les 15 ans de la Maison de résistance de Bure, semaine de chantier et d’animations en tous genres.


1 L’État et l’industrie du nucléaire envisagent d’enfouir à Bure (Meuse), les déchets les plus radioactifs des centrales françaises, voire européennes. C’est le projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique), qui suscite une forte opposition dans la région.

2 Prochaine rencontre intercomités du 9 au 11 novembre du côté de la Drôme. Le lieu exact et le programme seront communiqués bientôt. Infos sur Bureburebure.info, Stopcigeo-bure.eu, Burestop.free.fr et Cedra52.fr.

3 En juin, la LDH a publié sur son site un instructif Rapport sur les événements survenus à Bure et sur leur traitement judiciaire.

4 Sur l’histoire de Loïc, lire notamment « Trois mois de cavale et puis la geôle », CQFD n° 168 (septembre 2018). Pour écrire à Loïc : Loïc Schneider, UHA Hamburg (Untersuchungshaftanstalt), Holstenglacis 3, 20355 Hamburg, Allemagne.

5 Pour y faire quoi ? Le producteur d’électricité refuse d’en dire plus. Mais les militants antinucléaires se demandent s’il n’y a pas derrière tout ça la volonté de poursuivre la route de l’atome, via la construction d’EPR (réacteurs européens à eau pressurisée), ou, plus vraisemblablement, de SMR (Small modular reactors). EDF ne dément pas son vif intérêt pour ces petites unités de 300 MW maximum (« Des réacteurs nucléaires format mini, EDF y réfléchit », site de L’Usine nouvelle (15/03/2018).

6 Dates et lieux précisés sur le site de la Commission nationale du débat public.

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