Refoulement d’exilés à la frontière franco-italienne

Les identitaires condamnés, et après ?

Seize mois après leur opération anti-migrants dans les Hautes-Alpes, trois activistes de Génération identitaire ont été condamnés à six mois de prison ferme, l’association écopant de 75 000 € d’amende. Pas de quoi rasséréner les militants solidaires des exilés du Briançonnais, auxquels les motivations de la sentence posent question.
Par Victor

Ce 21 avril 2018, habillés tout de bleu presque comme des policiers, ils sont une petite centaine à débarquer au col de l’Échelle, « afin de stopper l’arrivée des migrants clandestins ». Puis pendant plusieurs semaines, une quinzaine d’entre eux restent dans la région de Briançon (Hautes-Alpes), pour patrouiller, livrer aux pandores, voire directement refouler des exilés arrivant d’Italie.

Le procureur de Gap ouvre une enquête pour « violences », mais c’est pour illico la refermer. Au ministère de la Justice, un haut-fonctionnaire insiste : il liste une série d’infractions susceptibles d’être reprochées aux identitaires. Le 11 mai 2018, le parquet ouvre une nouvelle enquête, visant l’un de ces délits : « activités exercées dans des conditions de nature à créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique ». Traduction ? Les identitaires se seraient fait passer pour des flics. Tarif potentiel ? un an de prison ferme.

« De quel droit ? »

Il faudra des mois avant que des identitaires soient placés en garde à vue. Entre-temps, les militants solidaires des exilés sont harcelés : les convocations s’enchaînent, les condamnations tombent. En décembre, celle des « 7 de Briançon » a tout du symbole d’iniquité : des militants solidaires sont sanctionnés pour avoir simplement participé à une manifestation transfrontalière qui répondait justement à l’opération des identitaires1.

Le procès de ces derniers s’ouvre finalement le 11 juillet 2019. Sur les trois prévenus, un seul est présent. « Notre action était pacifique, nous n’avons jamais scandé nous substituer à la police. Toute cette procédure est purement politique », clame Clément Gandelin (alias Clément Galant), 24 ans, avant de s’enfermer dans son droit au silence.

Pour l’association solidaire Tous Migrants, qui cherche à se constituer partie civile, Me Maeva Binimelis cite des témoignages d’exilés narrant que des identitaires leur avaient demandé leurs papiers, voire les avaient fouillés. « Bloquer et surveiller la frontière, lutter contre l’immigration illégale, ce sont des fonctions régaliennes de l’État », recadre l’avocate, bientôt rejointe par le procureur, qui ne cesse de demander « de quel droit » les militants d’extrême droite ont agi. Pas tout à fait à l’aise avec cette infraction de « confusion » sur laquelle la jurisprudence est assez maigre, le parquetier requiert tout de même d’assez fortes peines : six mois de prison ferme contre les trois prévenus (au casier judiciaire déjà fourni2) et 75 000 € d’amende contre l’association, sanction financière maximale.

Plaidant la relaxe, l’avocat de la défense, Pierre-Vincent Lambert (qui était lui-même présent au col de l’Échelle avec ses camarades d’extrême droite), dénoncera hors prétoire des réquisitions « assez délirantes ». À ses yeux, le procureur « n’avait pas envie qu’on lui reproche de ne rien avoir fait contre les identitaires », surtout après les condamnations des militants solidaires.

« La police fait exactement la même chose »

Le 29 août, le tribunal rend son jugement. Dans ses 29 pages, plutôt détaillées, figure le récit d’une jeune Ivoirienne, témoignant avoir été « arrêtée » avec ses compagnons de route « par des gens habillés en vestes bleues » qui les avaient « insultés, regroupés et filmés ». Une jeune Guinéenne raconte qu’elle a eu peur, que ces personnes les avaient « poursuivis » jusqu’à leur interpellation par les gendarmes. Il y a aussi l’histoire d’un Haut-Alpin pris en chasse par une « patrouille » des identitaires parce qu’il transportait des personnes de couleur noire dans sa voiture : » S’ils ont des papiers, ils n’ont qu’à descendre nous les montrer », s’était-il fait invectiver.

Conclusion des juges : « Compte-tenu de la nature extrêmement grave des faits, de l’importance du trouble à l’ordre public […], de l’importance des valeurs protégées par les infractions reprochées et du passé pénal des prévenus, seule une peine d’emprisonnement ferme paraît ici adaptée. » Pour les trois, qui comptent bien faire appel, ce sera donc six mois ferme, 2 000 € d’amende et cinq ans de privation des droits civiques, civils et familiaux.

Sur les réseaux sociaux, la fachosphère s’indigne. Plus à gauche, d’autres ne peuvent s’empêcher de ricaner. Mais sur le terrain, au pied des cimes frontalières du Briançonnais, Michel Rousseau, de l’association Tous Migrants, tempère l’enthousiasme : « La justice veut faire penser qu’elle est équitable dans sa manière de frapper à droite comme à gauche, mais c’est une mascarade, qui dissimule le fond du problème. Le plus grave que les identitaires ont fait, ce n’est pas d’avoir fait croire qu’ils étaient policiers  : c’est la mise en danger d’autrui, l’incitation à la haine raciale. C’est tout leur délire qui vise à pourchasser en pleine montagne les exilés, des gens vulnérables qui viennent chercher refuge. Ce qu’ils ont fait, c’est en quelque sorte une ratonnade et ça, on l’a toléré, parce que la police fait exactement la même chose. Ce qu’on leur a reproché, c’est simplement de ne pas avoir le bon uniforme. »

Et d’ajouter : « On ne peut pas se réjouir que des gens soient condamnés à de la prison, même si ce sont des fachos. Si la prison était une solution, ça se saurait. Nous ce qu’on veut, ce n’est pas que des gens soient condamnés, mais que les droits fondamentaux des exilés soient respectés. »

Clair Rivière

1 Jugés pour « aide à l’entrée irrégulière d’étrangers en France », cinq d’entre eux ont récolté six mois de sursis, les deux autres (sur lesquels d’autres charges pesaient) huit mois de sursis et quatre ferme. Ils ont tous interjeté l’appel. Pour plus de détails, lire « La justice a fait le choix de la mort pour les exilés », CQFD n°172, janvier 2019.

2 Clément Gandelin (président de l’association) : un mois de sursis pour violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ; Romain Espino (porte-parole) : un mois de sursis pour rébellion et des amendes, notamment pour « violation de domicile » ; Damien Lefèvre (alias Damien Rieu, ex-attaché parlementaire du député RN Gilbert Collard) : 500 € d’amende pour « violation de domicile ».

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