Le train-train de la justice industrielle au TGI de Lyon

par L.L. de Mars

Alex, 23 ans, d’origine camerounaise, vit sans papiers en France depuis mars 2011. Alors qu’il suit une formation professionnelle d’auxiliaire de vie à Lyon, il est arrêté et écope d’une peine de deux mois de prison ferme en novembre 2012 pour « entrée et séjour irrégulier sur le territoire français ». À sa sortie de prison, les policiers l’attendent pour le conduire au centre de rétention de l’aéroport de Saint-Exupéry. Il y est enfermé quarante jours, jusqu’au 25 février. Ce matin-là, des surveillants tentent de l’emmener au consulat du Cameroun à Marseille afin que ses empreintes digitales, relevées pour la dixième fois, permettent de l’identifier1. Alex refuse de sortir de sa cellule malgré les injonctions des deux flics de la police aux frontières.

Le mardi 26 février, il passe devant le tribunal pour « s’être soustrait à une mesure de reconduite à la frontière ». Le juge lit les procès verbaux rédigés par les policiers puis interroge Alex sur les raisons de son refus. « Je suis malade, je ne peux pas me déplacer, je suis un traitement que je ne peux pas arrêter, même une journée », répond Alex. « Il n’y a apparemment pas d’affection particulière », rétorque le juge, en lisant l’ordonnance du médecin du centre de rétention. « Les médicaments prescrits par le médecin, c’est pour traiter la dépression et les vomissements », explique Alex. « Vous pouvez quand même vous déplacer pour poser vos mains sur de l’encre ! », tempête le juge. « J’étais malade, c’est pour ça que j’ai refusé d’aller à Marseille », reprend le jeune homme. « Les policiers disent dans leur PV que vous ne voulez pas rentrer dans votre pays », insiste le magistrat. « J’ai fait deux mois de prison et quarante jours de centre de rétention. J’ai perdu cinq kilos. Je ne veux pas retourner en prison mais rentrer dans mon pays, contrairement à ce qu’affirment les policiers », conclut Alex.

Le procureur, qui a requis des peines planchers presque tout l’après-midi, reprend les accusations qui garnissent son dossier : « Il dit qu’il est malade, mais il n’y a pas de document pour le justifier… Je ne crois pas à son argumentation. Il ne dit pas la vérité… C’est une situation totalement irrégulière. » Le procureur requiert une peine de quatre mois de prison ferme, assortie d’un mandat de dépôt et trois ans d’interdiction du territoire français.

Commis d’office et sans argument technique, son avocat énonce une série de banalités qui laisse de marbre le tribunal : « Il est perdu… La vie est dure au Cameroun… Il souhaite avoir une vie meilleure. » Il poursuit cette parodie de plaidoirie en allant jusqu’à contredire son client : « Il ne veut pas retourner en prison ni au Cameroun », avant de l’achever magistralement : « Je vous laisse le soin de décider ». Sans même demander l’indulgence du tribunal ou une peine de sursis plutôt qu’un mandat de dépôt…

Après avoir délibéré, les juges reviennent, tout sourires, dans la salle d’audience. Alex, déjà encadré par deux policiers, est condamné à deux mois de prison ferme. À sa sortie de détention, c’est encore le centre de rétention qui l’attend.

Le procès, bâclé en seize minutes2, s’est donc tenu le lendemain des faits, sans possibilité de réunir des documents destinés à construire une défense. Cette dernière a été conduite par un avocat commis d’office qui ne connaît ni son client ni les spécificités du droit des étrangers. Une nouvelle confirmation de ce que les avocats disent tout haut depuis longtemps à propos de ces comparutions immédiates : « Justice expéditive ! », «  Justice d’abattage ! », « Justice de classe ! »


1 Alors même que les autorités consulaires camerounaises reconnaissent très rarement leurs ressortissants.

2 À comparer aux semaines voire aux mois que peuvent durer les procès qui défraient l’actualité dans les médias.

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1 commentaire
  • 31 mai 2013, 08:06, par ivory

    Ah...la justice francaise...cqfd

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