La virginité virtuelle d’Edwy Plenel
C’est la démocratie qu’on assassine ! Mi-janvier, le rachat par Bernard Tapie des titres de presse du Groupe Hersant Média (GHM) – dont le quotidien La Provence – a été homologué par le tribunal de commerce de Paris. Horreur : un « affairiste » arrive à la tête d’un canard régional ! Aussitôt, Nicolas Demorand, taulier de Libération pour le compte du groupe Rothschild, accourt à Marseille (le 11 janvier dernier), afin d’insuffler aux plumitifs indigènes l’esprit de résistance face aux pouvoirs financiers.
Edwy Plenel ne veut pas laisser à Nicolas le rôle de libérateur de la presse marseillaise : il riposte le 11 février, par une grand-messe moustachue « en défense de l’information indépendante », organisée avec le site d’info marsactu.fr et le mensuel satirique Le Ravi. Sur les planches du théâtre de La Criée, le voici en Rol-Tanguy de la presse libre, le rôle qu’il préfère depuis qu’il a lancé Mediapart. Mais avant ?
« L’argent roi, l’argent fou, Tapie en est l’illustration depuis 30 ans. L’argent est au cœur de son parcours », piaillait dans son discours d’introduction celui qui dirigea la rédaction du quotidien Le Monde, de 1996 à 2004. Avant de se lancer à l’assaut du Parti de la presse et de l’argent (le fameux PPA), il avait pourtant, avec Jean-Marie Colombani, PDG du groupe Le Monde, et Alain Minc, plagiaire et président du conseil de surveillance du Monde, invité les puissances économiques et industrielles à s’asseoir à la table du quotidien de référence. Avec son « frère1 » et son « ami2 », Edwy Plenel a accueilli à bras ouvert la holding Artemis de François Pinault, du groupe Pinault-Printemps-Redoute – elle était actionnaire indirecte du journal. Sous leur règne, Publicis, la boîte de pub de Maurice Lévy, possédait la régie du groupe Le Monde, M Publicité, à hauteur de 49 %. De plus, en 1999, Hachette, propriété du marchand d’armes Lagardère, a acquis 34 % du Monde interactif, filiale multimédia du quotidien. Puis, en 2005, Lagardère entrera dans le capital de la holding Le Monde SA. Et c’est le même trio qui, en 2001, a soutenu un projet d’entrée en bourse du quotidien – qui finalement avorta. Cette évolution a « constitué un “putsch […] perpétré tout en douceur”3. Elle a rogné significativement le pouvoir des journalistes sur leur journal en permettant une emprise toujours plus grande des actionnaires externes », constatait en 2007 le site de critique des médias Acrimed4. Alain Rollat, journaliste du Monde mis à la porte en 2001, enfonce le clou dans son livre Ma Part du Monde5, avançant que la direction du journal œuvra « à des restructurations juridiques qui ont mis Le Monde sous la dépendance de ses banquiers, au détriment de la Société des rédacteurs ». De quoi inspirer Bernard Tapie dans sa gestion de La Provence…
« L’argent roi. » Avant de le vilipender à Marseille, Edwy Plenel lui léchait les poulaines à Paris. Comme lorsqu’il présentait trois patrons, le 22 mars 2004, réunis au théâtre du Rond-Point des Champs-élysées pour un « grand débat » organisé par Le Monde : « Thierry Breton, PDG de France Télécom, Philippe Lemoine, co-président des Galeries Lafayette, et Louis Schweitzer, PDG de Renault. Ils sont tous trois un peu à part. Thierry Breton est ingénieur de Supélec, mais il a écrit trois romans. Philippe Lemoine fut co-signataire […] d’ouvrages publiés par […] la CFDT. Pour M. Schweitzer, il y a moins de secrets à découvrir, mais c’est un amoureux du théâtre.6 » Les trois artistes « un peu à part » ont sûrement tremblé devant la virulence des propos de l’ex-trotskyste.
Aujourd’hui, Edwy Plenel « libère la presse » avec son site « sans DSK, sans voyeurisme, sans people, sans diversion ni divertissement, sans fait divers7 ». Cocasse, de la part de celui qui a mis la mort de Lady Diana, l’affaire Monica Lewinsky ou encore Loft Story en une du Monde… Mais Edwy n’est plus à un revirement près pour défendre sa nouvelle niche.
Avec Marc Pantanella et ses archives de PLPL et du Plan B.
1 France 3, 6 mars 2003.
2 France 2, 6 mars 2003.
3 Pierre Péan et Philippe Cohen, La Face cachée du Monde, Mille et une nuits, 2003.
4 Grégory Rzepski, « Un Monde sans Minc », juillet 2007.
5 Alain Rollat, Ma Part du Monde, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2003.
6 PLPL n°20, juin 2004.
7 Tweet du compte d’Edwy Plenel du 23 février dernier.
Cet article a été publié dans
CQFD n°109 (mars 2013)
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Paru dans CQFD n°109 (mars 2013)
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Mis en ligne le 16.04.2013
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Dans CQFD n°109 (mars 2013)
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16 avril 2013, 22:41, par #
C’est "loft" story dont vous parlez je pense.
17 avril 2013, 16:38, par F
C’est. Merci.
17 avril 2013, 09:30, par François
Oui, oui, oui... Il est bon que la critique ne soit pas amnésique, et que les errements de Plenel en baron de la presse ne soient pas oubliés.
Néanmoins, le ton de l’article m’apparait un peu désespérant, et pour tout dire, médiocre. L’article vise à délégitimer entièrement le travail de Médiapart en se focalisant sur la participation du citoyen Plenel à l’entreprise. Sans voir qu’en fait, cette situation valide l’hypothèse la plus féconde de la critique des médias : ce sont les conditions sociales de production de l’information qui déterminent le contenu de l’information. Manifestement, un acteur, un journaliste, un Plenel, évoluant dans une entreprise de presse capitaliste OU dans une publication indépendante (fut elle numérique) ne produit pas le même travail, n’adopte pas les mêmes postures.
C’est cela qu’il aurait fallu relever et mettre en avant. Peut être même sur un ton triomphant : "Victoire de la critique des médias ! Edwy Plenel se rachète une conduite !"
Une telle approche aurait eu l’intérêt de permettre à l’auteur de reconnaitre le travail de Mediapart qui, outre l’enquéte Cahuzac, réalise une production journalistique de qualité, et qu’on doit bien considérer comme une presse d’opinion indépendante, capable de se démarquer des routines et des clichés médiatiques. Ce qui ne l’exonère pas de critiques d’ailleurs, pas plus que CQFD, article 11, Regards ou Politis.
Le rôle d’un acteur dans une structure n’est jamais entièrement déterminé, et la responsabilité d’un journaliste, son éthique et sa déontologie sont toujours engagés par sa participation dans une entreprise de presse. Et je ne conteste pas l’intérêt d’une critique nominative des acteurs médiatiques, ni sa contribution à l’ébranlement de la légitimité des médias dominants. Mais produire aujourd’hui un article à charge pour Médiapart fondé uniquement sur le passif de Plenel, sans évoquer son rôle actuel (qui est certes un revirement) relève pour moi, au mieux, de la paresse intellectuelle, au pire d’une posture d’inquisiteur uniquement préoccupé par la dénonciation des acteurs. D’autres médias déjà tiennent ce rôle de comptable ; que CQFD au moins ne s’engage pas dans cette voie là.
Je le répète, il faut voir dans cette situation, dans la situation actuelle de Plenel une victoire de la critique des médias, une validation de ses thèses. Maintenant, avec des fauves médiatiques de ce acabit, la vigilance reste de mise, j’en conviens. Longue vie à la presse libre, yo. François
17 avril 2013, 15:18, par Michèle
Bravo et très bien dit ! (ça va, y a bien 10 caractères ?)
17 avril 2013, 10:03, par atterré 28
il n’y a rien à commenter dans cet article, sinon le mettre à la poubelle vite fait bien fait
17 avril 2013, 14:59, par PieR.F.
Merci pour cette mise au point et en perspective des plus éclairantes ! Je me disais aussi que la moustache facon "Petit Pere des Peuples" était trop bien taillée pour etre honnète.... Il fallait le voir il y a peu applaudir a deux mains la candidate PS a la mairie de Paris chez Ardisson comme si il voyait arriver le Gal Leclerc en juin 44 ...
17 avril 2013, 18:37, par fadieze
heureusement que Plenel n’est pas vierge ! l’auteur de cet article non plus probablement... bon J’aime bien PLPL, mais faut pas compter sur eux pour coincer Cahuzac !
17 avril 2013, 20:28, par 4k45h3d0
Le personnage a un certain passif, en effet, et je m’attendais à un article de ce type plus tôt, pour tout dire. Mieux vaut tard que jamais même si, comme l’a relevé François, ça ne devrait pas discréditer Mediapart en tant qu’acteur de la presse indépendante.
19 avril 2013, 12:15, par Serge ULESKI
Pour prolonger cliquez : http://sergeuleski.blogs.nouvelobs....
20 avril 2013, 10:23
On se souvient surtout de la manière dont Pleynel a traîné dans le boue le journaliste Denis Robert au moment de l’affaire Clearstream ("Révélation$"). Pitoyable.
22 avril 2013, 10:42
merci pour ce rappel CQFD
aux camarades en quête de sauveur médiapartien, pas content de ce bel article,
oui nous prenons tout le travail de qualité, d’enquête des journalistes de médiapart lorsque que ceux /celles-ci font leur boulot de journaliste critique. ça fait du bien et c’est important. (doit on féciliter la moustache et les journalistes qui bossent vraiment dans l’ombre de celle-ci ?)
mais non nous ne devons pas être amnésique sur le rôle d’Edwy Plenel dans la trahison d’un journalisme indépendant et critique du pouvoir hier.
en attendant tant que mediapart permet de’ faire tomber les puissants vive médiapart quand Plenel collaborera à nouveau vive la guillotine