Mouvement social en Guadeloupe
Le volcan n’est pas éteint
CQFD : Les appels à des manifestations et à la grève générale le 14 décembre dernier semblent avoir été un échec : il y a eu peu de manifestants, et les autorités ont refusé de rencontrer le LKP…
Eli Domota : Pour nous, ça été une réussite. Je n’ai entendu aucun média en Guadeloupe dire que ce n’était pas une réussite. Il faut savoir que les médias en France se basent sur les dépêches de l’AFP. Et l’AFP en Guadeloupe est représentée par un gars qui est très certainement proche de l’ex-DST. Alors… Plus de 20 000 personnes dans les rues. C’était une très bonne mobilisation. Effectivement, le lendemain, nous étions moins nombreux mais, encore une fois, beaucoup plus que lorsque nous avions démarré le 20 janvier 2009.
Comment voyez-vous la suite des opérations ?
Aujourd’hui, ce que cherche l’État, c’est à nous affaiblir ou à nous faire basculer dans la colère et la violence. On veut nous réprimer. Depuis pratiquement deux ans, des hôtels sont remplis d’escadrons de gendarmes. La Guadeloupe est véritablement un pays sous surveillance militaire. Nous sommes plus de 20 000 militants dans le LKP, ce qui correspond à une capacité de mobilisation d’environ 100 000 personnes. Nous allons continuer à faire le tour de la Guadeloupe, à discuter avec les Guadeloupéens pour amplifier la mobilisation dans les jours, les semaines et les mois qui viennent. Nous avons choisi l’option du débat et de la discussion. Nous sommes toujours ouverts au dialogue. Mais, malheureusement, en face de nous, les élus du conseil général, du conseil régional et l’État refusent de nous rencontrer, de répondre à nos différents courriers. Nous n’allons pas nous arrêter : nous savons que nous avons le soutien de travailleurs en France et dans d’autres pays. Nous allons continuer à nous battre car nous savons que nous avons raison.
L’État ne serait-il pas en train de mener des représailles face à l’humiliation que lui aurait fait subir le LKP ?
Il faut savoir que, depuis huit mois, nous demandons la réunion de la commission de suivi prévue dans les accords du 4 mars. L’article 165 en prévoit la mise en place1 avec la région, le département, l’État et le LKP pour faire le point sur les différents chantiers et poursuivre les négociations sur les autres thèmes qui restent à aborder. Aujourd’hui, l’État, le conseil général et le conseil régional se sont mis d’accord pour ne plus reconnaître le LKP et pour ne plus appliquer les accords du 4 mars. Et l’on comprend pourquoi : le LKP est la plus grosse force organisée de Guadeloupe. Il n’y a aucune
association, aucun parti politique, aucun mouvement religieux qui est plus fort et plus puissant en nombre. Nous avons mis à bas les masques des institutions et de tous les « pwofitants », et avons clairement identifié les complicités qui existent entre l’État et les élus. Pour eux, il faut éliminer le LKP par tous les moyens. Aucune presse en Guadeloupe, sauf la radio indépendantiste Radio-Tambour et la télé privée Canal 10, et surtout pas la télé publique ou celles dirigées par les grandes entreprises de békés, ne nous donne la parole. Les évènements concernant le LKP sont passés sous silence. Ils ont reçu l’ordre de ne pas nous rencontrer et de revenir à une situation d’avant le 20 janvier. On peut dire que l’État est en train de régler des comptes. Nous avons une vingtaine de camarades qui sont convoqués devant les tribunaux dans les jours et les semaines qui viennent. D’autres ont été convoqués depuis le mois de septembre. Les accords ne sont pas respectés.
Quels sont les motifs des poursuites ?
Pour entrave à la liberté de circulation, pour refus de test ADN… Il y a une volonté de nous criminaliser. Des médias subissent une répression : des journalistes qui avaient pris position dans certaines affaires sont inquiétés. Mais, nous pouvons leur dire que nous sommes toujours debout et que nous allons continuer à nous battre par la mobilisation de masse, en conscience et pour changer la vie.
L’État compte-t-il sur l’affrontement pour régler définitivement le problème ? Nous l’avons déjà vu dans le passé. À chaque fois qu’il y a eu des mouvements de révolte à la Guadeloupe, en 1910, en 1925, en 1931, en 1952, en 1967, ça s’est toujours terminé comme ça : l’État a tiré sur les manifestants. En 1967, cent personnes ont été tuées lors d’une manifestation des ouvriers du bâtiment. L’État cherche à refaire ce même scénario, et nous avons prévenu le préfet et les renseignements généraux que nous n’allions pas tomber dans ce piège. S’ils ont fait venir tant de militaires armés en Guadeloupe depuis le mois de septembre dernier, c’est parce qu’ils comptent éradiquer physiquement le LKP et terroriser les Guadeloupéens. Nous, nous allons continuer notre chemin, comme nous l’avons décidé.
Les militants du LKP vont donc actuellement à la rencontre des salariés dans les entreprises ?
Nous faisons la tournée de la Guadeloupe. Et pas seulement des entreprises, mais aussi des administrations, des communes et des îles qui sont autour de la Guadeloupe, comme Marie-Galante, les Saintes, la Désirade, pour discuter avec tout le monde. Nous avons aussi des relations avec un certain nombre d’organisations patronales, des petits patrons qui, eux aussi, souffrent de la « pwofitasyon ». Le système économique en Guadeloupe découle d’une transposition de la société de plantation qui génère domination et exploitation sur les salariés mais également sur les petits entrepreneurs qui souffrent de n’avoir pas accès aux marchés publics, à l’ingénierie financière, aux prêts bancaires. Nous sommes tous dans la même galère.
Rencontrer, informer, discuter, c’est ce que vous aviez déjà fait en 2008, bien avant le mouvement de grève générale de 2009. Pensez-vous que cette démarche peut à nouveau porter ses fruits ?
La Guadeloupe est un petit pays, mais il y a des endroits où nous n’avons pas encore mis les pieds. Nous devons continuer à discuter pour que, lors des manifestations, tout le monde sache en conscience pourquoi il descend dans la rue. Notre objectif est de réunir plus de 100 000 manifestants pour dire aux autorités : voilà ce que nous voulons pour notre pays, vous avez signé des engagements, respectez-les ! Ils ont signé un engagement concernant l’insertion professionnelle et la formation des jeunes, et rien n’a été fait. Dans le département, le taux de chômage des moins de 25 ans atteint 60 %, le plus élevé d’Europe. Nous avons également signé un accord visant à favoriser l’accès des cadres guadeloupéens aux postes de responsabilités dans le public et le privé. Rien n’a été fait. Même chose au niveau du chlordécone, à propos de la santé, du transport, etc… Nous avons le devoir de continuer à rester debout. Sans lutte, il n’y a pas de progrès. Il faut tourner le dos à tous les charlatans, les « pwofitants » qui nous escroquent depuis si longtemps.
Y a-t-il eu quelques dissensions entre vous, notamment à propos de la question des élections ?
Un certain nombre de camarades, membres de partis politiques, sont toujours allés aux élections. Aujourd’hui, le parti communiste s’est retiré de la direction du LKP, mais en est toujours membre. Cela n’a en rien entamé notre solidité et la fierté que nous témoignent les Guadeloupéens.
Le LKP pense-t-il se mêler des élections cantonales et sénatoriales à venir ?
Il n’a aucune vocation électorale. Lors des dernières élections régionales, le LKP a clairement dit qu’il n’allait pas aux élections, qu’il ne présentait pas de candidat et qu’il n’autorisait aucun candidat à parler en son nom.
Pendant le mouvement de grève générale, les marchés de petits producteurs s’étaient développés. Par la suite le LKP avait appelé au boycott des grandes surfaces. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le plus important, ce sont les petits marchés agricoles qui fonctionnent très bien. Il y a une grande envie de produits frais qui viennent de la terre de Guadeloupe. Il y a toujours, bien sûr, des gens qui vont dans les supermarchés mais, dans beaucoup de cas, d’après ce que nous voyons, la clientèle est en baisse. Il y a véritablement une modification dans la consommation quotidienne des Guadeloupéens.
Quel rôle joue le Medef dans la non-application de l’accord Bino de mars 2009 ?2
L’accord Bino, c’est l’accord sur les salaires. La CGPME et le Medef ne l’ont pas signé. Mais des entreprises qui sont affiliées au Medef l’ont fait. Par exemple, les supermarchés de Monsieur Hayot, de Monsieur Despres, les entreprises du secteur de l’automobile ont signé cet accord parce que les travailleurs étaient en grève dans leurs entreprises. À propos de l’application de l’accord général du 4 mars, si l’État, les conseils général et régional et le patronat ne veulent pas nous rencontrer, c’est parce qu’ils savent que le LKP est un rassemblement d’expertise, de compétence et de fierté. Depuis toujours, ils ont voulu surfer sur nos divisions. Aujourd’hui que nous sommes tous ensemble, nous les avons démasqués et aucun d’eux ne peut venir nous raconter des bobards. Nous avons demandé à maintes reprises aux télés publiques et privées d’organiser des débats avec le LKP, les élus, les autorités, le préfet et même la ministre de l’Outre-Mer, et nous n’avons trouvé personne. Nous pouvons démontrer qu’il y a des escroqueries qui sont organisées dans la grande distribution, dans la fixation des prix des carburants, dans l’organisation du système scolaire, avec la complicité des élus locaux et de l’État pour maintenir la Guadeloupe dans un état d’assistanat et de mendicité. Devant ces vérités criantes, ils sont obligés de nous discréditer. On fait croire que tous les maux sont engendrés par le LKP : si le chômage augmente, s’il y a des accidents sur la route, si des couples se séparent, c’est à cause du LKP…
Pourtant, les dernières statistiques produites par l’IEDOM disent qu’il y a une reprise économique en Guadeloupe…3
C’est extraordinaire que l’IEDOM dise qu’il y a une sortie de crise au moment où est publié le taux d’augmentation des prix. En France, il est de 1,6 %, de 2,3 %, dans tous les DOM confondus, et de 4,2% en Guadeloupe À propos d’un prétendu sursaut dans l’hôtellerie, les dirigeants de ce secteur ont envoyé un courrier aux ministères des DOM et du tourisme pour dire qu’ils étaient au bord de la faillite. Ils pleurent pour que, une fois de plus, l’État mette la main à la poche. L’hôtellerie est le secteur le plus subventionné en application des lois Perben sur l’exonération de charges et la défiscalisation. 90 % des richesses générées par l’hôtellerie repartent à l’étranger et ne profitent pas aux Guadeloupéens. À la tête de la plupart des hôtels, vous avez des escrocs de la finance, de la défiscalisation, qui ne font que détourner de l’argent public et qui ne concourent nullement au développement de la Guadeloupe.
Pensez-vous que les 165 points des revendications du LKP, qui impliquent un véritable changement de société, sont applicables ? 4
Le 3 octobre dernier, Mme Penchard, secrétaire d’État auprès du ministre des DOM, nous a dit que l’État n’accepterait jamais ce protocole, qu’il fallait réécrire les articles car les accepter remettrait en cause les liens entre la Guadeloupe et la France, et le système politique et économique. Il est clair que c’est la « pwofitasyon » qui fait que nous sommes dans cette situation. Il faut qu’ils comprennent que nous ne sommes pas faits uniquement pour jouer au football ou pour courir sur les pistes d’athlétisme. Nos enfants ont droit à un meilleur avenir.
Comment a été vu chez vous le mouvement contre les retraites en France ?
À un certain moment, on a pensé que la France allait entrer dans un processus de grève générale pour faire reculer Nicolas Sarkozy. Il y avait, et il y a toujours, beaucoup de mécontentement en France. Ici comme ailleurs, il faut faire reculer la « pwofitasyon ».
Un agenda ?
Nous voulons voir la traduction concrète des revendications. Nous sommes un peuple de combattants, de résistants. On va continuer à renforcer les discussions, l’unité et la solidarité. On n’a pas le choix.
1 L’article 165 du protocole du 4 mars 2009 prévoit la poursuite des négociations sur des thèmes restants, et la constitution d’une commission de suivi dudit accord composée de douze membres : quatre pour le LKP, quatre pour l’État et quatre pour les collectivités.
2 Augmentation de 200 euros net par mois pour les salaires compris entre le Smic et 1,4 Smic. Pour les salaires supérieurs à 1,4 Smic, négociations par branche sur la base d’une augmentation minimale de 6 %. Pour les salaires supérieurs à 1,6 Smic augmentation minimale de 3 %. Les salariés à temps partiel devaient être augmentés au prorata du temps de travail.
3 Cf. éditorial de une de CQFD n°65, mars 2009.
4 Institut d’émission des départements d’Outre-Mer, exerce les activités de banque centrale par délégation de la Banque de France.
Cet article a été publié dans
CQFD n°85 (janvier 2011)
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Paru dans CQFD n°85 (janvier 2011)
Dans la rubrique Le dossier
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Illustré par L.L. de Mars
Mis en ligne le 14.02.2011
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