8 pages urbaines en supplément

La ville comme elle va

LA VILLE ? Foyer d’indiscipline ? Lieu de mélanges et d’aventures  ? « Air émancipateur » ? Depuis le temps que les possesseurs de richesses et leur police s’échinent à réduire les menaces que la plèbe et son désordre font peser sur leurs projets, tout semble aujourd’hui s’accélérer. Des villes, il ne devrait en rester que le décor et la renommée, vidés de leur histoire. L’autodestruction du milieu urbain tend à faire de la ville une marchandise dont l’emballage n’est destiné qu’à attirer populations aisées et entreprises conquérantes. Lancée depuis plusieurs décennies, la compétition bat son plein afin de rendre attractif le « produit ville » : destruction et rénovation des vieux quartiers, construction de centres commerciaux, rues piétonnées, tramways décoratifs, systèmes sophistiqués de surveillance, érection triomphante de tours et édifications de quartiers high tech en parfaite adéquation avec les exigences environnementales. Dans l’hypercentre de la cité, une espèce de Disneyland, « représentation euphorisante du monde »1 ; à la périphérie, un agencement urbain géré selon les principes policiers de la prévention situationnelle. Et pour compenser la disparition programmée d’activités à échelle humaine, l’ultime argument de vente est celui de la culture, cette reconstruction artificielle des liens et de l’histoire. « Les hommes se rassemblent dans les villes pour vivre. Ils y restent ensemble pour jouir de la vie », disait Aristote, ce vieux camarade avec qui l’on s’imagine bien boire un coup au comptoir du bar du coin, pendant qu’il en est encore temps. Un estaminet où, peut-être, une étincelle, un réflexe collectif – cette « réaction génétique subconsciente » dont parle Lewis Mumford2 – referait émerger au grand jour tout ce qui fait qu’une ville est ville…


1 Hacène Belmessous, Le Nouveau bonheur français, Atalante, 2009.

2 Lewis Mumford, La Cité à travers l’Histoire, Le Seuil, 2001.

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