Le petit chef des pompiers
Le service sécurité dans une boîte comme la mienne est un secteur devenu important depuis l’accident d’AZF et toutes les mesures qu’il a fallu prendre par la suite (loi Bachelot et applications des mesures dites Seveso). Cela s’est concrétisé par une multiplication de procédures qui ont transformé l’usine en une administration soviétique. Il faut désormais remplir de plus en plus de documents qui doivent être signés et validés par toute la hiérarchie, car il faut que chacun soit couvert. Cela entraîne un vrai retard dans les travaux de maintenance et de réparation. La direction actuelle s’est lancée dans une véritable course à la sécurité avec des « règles d’or », des campagnes de « sécurité active », des « bonnes pratiques ». Affiches et panneaux lumineux aux entrées de l’usine sont autant de rappels à l’ordre : la sécurité doit être partout, tout le temps, dans nos usines. Sauf qu’il s’agit surtout de discours. Dans la vraie vie, la plupart des mesures sont difficilement applicables, par manque de personnel et de fric, et l’on se contente de parer au plus pressé, en retardant certains travaux par exemple.
Enfin, il existe sur l’usine un service « pompiers ». Ce service, qui existe depuis plus de cinquante ans, a changé. Jadis c’étaient d’anciens salariés de la fabrication ou des expéditions qui constituaient les équipes postées jour et nuit. Le boulot était relativement cool. Il fallait juste être prêt à intervenir au cas où, en jouant aux cartes, au ping-pong. Forcément, cela n’a pas duré et, au fur et à mesure, la direction s’est chargée de leur donner davantage de boulot tout en diminuant les effectifs : s’occuper des extincteurs, faire des rondes, remplir des papiers, surveiller des vannes de gaz et d’eau, former le personnel à la sécurité, suppléer au gardiennage, etc. Le profil des pompiers a également changé. Au fur et à mesure des départs des
anciens, ce sont des jeunes, souvent sortis des Pompiers de Paris qui sont arrivés. Cheveux ras et esprit militaire. Moins de remise en cause et de revendications. Et, même s’ils sont pour la plupart assez sympas, les plus à gauche ont voté Nicolas Sarkozy aux présidentielles.
Enfin, il y a le « chef pompiers ». Dans le temps, je ne sais pas si c’est à cause des responsabilités, ça picolait pas mal et le dernier chef de l’ancienne génération éclusait sa bouteille de whisky quotidienne. Il n’a pas atteint la retraite. Le suivant était carrément encarté au Front national et aimait bien la boisson aussi. Sauf que c’est lui qui a changé la mentalité du service jusqu’à aujourd’hui. Celui-là maniait ses pompiers comme des soldats. Il n’a pas hésité à faire intervenir, sans même attendre l’ordre de la direction, le camion avec lance à incendie contre un campement de gitans, installé la veille aux bornes de l’usine. Quand il est parti en retraite, tout le monde a poussé un ouf de soulagement.
Celui qu’on a en ce moment n’est pas mal non plus. Question look, il ferait penser à un officier début xx e siècle. La moustache fine et le doigt sur la couture du pantalon. C. veut que tout le monde l’aime, surtout ceux au-dessus de lui et fayotte comme ce n’est pas permis. À la direction, ils en sont parfois gênés, tellement ça se voit. C. dit qu’il faut toujours « se mettre en avant », « être volontaire » tout en se soumettant à la hiérarchie. Avec lui, rien ne doit dépasser. C’est dire si ça rigole dans son service lorsqu’il est là. Et puis voilà qu’on lui a mis un adjoint, plutôt de la vieille école, qui fait son boulot mais qui ne la ramène pas. C. est parti en guerre contre cet homme qui ne se plie pas à sa volonté : vexations, ordres et contre-ordres, dénonciation intempestive en haut lieu. Il a même écrit un courrier (que tout le monde a lu dans l’usine) à cet adjoint dans lequel il pointe ses prétendus manquements. Bref, du harcèlement. Le collègue se retrouve depuis en arrêt maladie pour dépression. C. a gagné.
Comme un petit coq de basse-cour, il marche en gonflant la poitrine. Il est le chef. Sauf que derrière, « ses » pompiers se marrent. Mais lui ne les voit pas.
Cet article a été publié dans
CQFD n°102 (juillet-août 2012)
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Paru dans CQFD n°102 (juillet-août 2012)
Dans la rubrique Je vous écris de l’usine
Par
Illustré par Efix
Mis en ligne le 24.09.2012
Dans CQFD n°102 (juillet-août 2012)
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13 décembre 2012, 18:23, par francois anti con
bonjour vous n’avez qu’a lui botter le cul a ca cheffaillon de merde