Forains en colère

Le feu à La Plaine

Par deux fois, en décembre (2016), les forains de La Plaine ont paralysé une partie du centre de Marseille pour protester contre un projet de rénovation de la place qui condamne le plus populaire des marchés de la ville. La bataille, qui s’annonce rude, ne fait que commencer.
Par Etienne Savoye

« Ils vont mettre 300 forains et leurs familles à la rue, c’est comme un plan social ! », s’exclame Patricia, qui vend du prêt-à-porter féminin sur ce marché depuis le siècle dernier. Le projet de rénovation de la place Jean-Jaurès (La Plaine pour les Marseillais) vient de tomber le masque. La Provence a publié de jolies images de synthèse où la place apparaît lumineuse et dégagée, avec des arbres de Judée en fleurs et des êtres diaphanes flottant sur une esplanade toute lisse. Qui ne se réjouirait pas d’un espace enfin libéré de l’emprise automobile, ouvert aux ébats des minots et à la sereine consommation de boissons rafraîchissantes en terrasse des bars ? Qui s’opposerait à la disparition des grilles qui enserrent aujourd’hui jeux d’enfants et magnolias centenaires ?

Pourtant, ce songe d’air pur et de paix civile cache quelques entourloupes. Rien n’a été proposé aux forains ni aux commerçants sédentaires, pour assurer leur survie pendant un chantier qui va s’éterniser (deux ans et demi minimum). Onze millions d’euros ont été budgétisés pour ce grand chambardement, alors qu’il n’y a pas d’argent pour les écoles ou les installations sportives de proximité : pour quel profit ? Aucune alternative n’est prévue pour les 250 places de stationnement supprimées. Les grandes terrasses des nouveaux établissements que la mairie rêve d’attirer (les commerces actuels auront fait faillite au fil du chantier) privatiseront l’espace et provoqueront des conflits d’usage avec le marché (lifté et réduit de moitié), les jeux d’adolescents ou les « usages déviants » type carnaval, sardinade du 1er mai ou repas de quartier.

Les forains, dans le collimateur d’une mairie qui veut expurger un marché d’aubaines trop truculent et chaleureux à son goût, ne décolèrent pas. Ils ont fait entendre leurs voix et leurs klaxons jusque sous les fenêtres du maire. Le jeudi 1er décembre, une centaine de fourgons décorés de pancartes (« Le marché, c’est le coeur du quartier », « Tout ce qui se fait sans nous se fait contre nous »…) ont déboulé sur la Canebière pour aller bloquer le quai de la Mairie. Mme Lota, déléguée aux emplacements, a reçu trois forains et un avocat pour leur confirmer que rien n’a été prévu pour les sauver de la ruine, puis leur a claqué la porte au nez.

Le jeudi 15, la même opération escargot, accompagnée par des membres de l’assemblée de La Plaine, a cette fois parcouru un itinéraire trois fois plus long, pour finir devant les locaux de la Soleam (organisme chargé de la réhabilitation du centre-ville) et bloquer la Canebière pendant deux heures. Pas de discours, mais des cris de colère, des chœurs détournant les chants du Vélodrome et une grondante Marseillaise… La suite ? une journée d’information pour rompre avec l’opacité des manœuvres municipales (le président de la Soleam, Gérard Chenoz, a déclaré qu’il ne parlait pas aux éternels mécontents) ; pourquoi pas une conférence associant sociologues et forains pour réaffirmer la légitimité et l’utilité sociale du marché ; de possibles recours légaux ; et bien sûr d’autres manifs plus massives. Comme le souligne un journalier, « pour l’instant, seuls les forains abonnés ont manifesté, mais le jour où les journaliers, qui craignent des représailles, se rendront compte qu’ils n’ont plus rien à perdre, ça va faire mal ! »

Bruno Le Dantec
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