Bouquin
Le PCF et le livre
« J’ai connu l’époque où pas une grande réunion du Parti ne se tenait sans “table de littérature” offrant brochures et livres, et où chaque section se devait d’avoir sa petite armoire à livres », déclare le philosophe Lucien Sève, ancien responsable des Éditions sociales de 1970 à 1982, dans l’ouvrage collectif Le Parti communiste français et le livre. Écrire et diffuser le politique en France au XXe siècle (1920-1992). On sait la place privilégiée – instrument d’émancipation, objet de formation continue – qu’a toujours détenue le livre au sein du mouvement ouvrier international. On connaît moins bien l’histoire de l’édition communiste en France, en particulier depuis 1968.
L’édition liée au PCF a d’abord été marquée par la figure de Boris Souvarine, animateur de la Bibliothèque communiste et de la Librairie de L’Humanité (qui publia jusqu’à 60 titres par an au cours des années 1920). Rapidement repris en main, ce secteur est ensuite divisé en deux entités : le Bureau d’édition, de diffusion et de publicité (BEDP) et les Éditions sociales internationales chargées de diffuser l’œuvre de Lénine, les romans agréés par Moscou, et les textes émanant de dirigeants majeurs (Fils du peuple, de Maurice Thorez, 1937).
Ce n’est qu’à la libération qu’une place essentielle est accordée au livre communiste : en sus des Éditions sociales (ES), une maison d’édition de littérature est constituée (Les Éditeurs français réunis), ainsi qu’une branche spécialisée dans le livre jeunesse (La Farandole). Mais surtout, le Parti se dote d’un réseau de librairies, les Librairies de la Renaissance, qui compte jusqu’à 40 enseignes à son apogée au milieu des années 1970, ainsi que d’une structure de diffusion, le Centre de diffusion du livre et de la presse (CDLP) qui fera faillite à l’orée des années 1980.
À la lecture des différents chapitres et des trois passionnants – mais techniques – entretiens qui constituent cet ouvrage, on est d’abord écrasé par le poids de la diffusion des ouvrages communistes. Alors premier parti de France, le PC, fort de ses relais municipaux et des nombreuses fêtes de l’Humanité départementales, vendait des dizaines de milliers d’exemplaires de la plupart des ouvrages dont il diligentait la fabrication. Pourtant, en dépit de la richesse d’une partie du catalogue, trois points cruciaux sont à mentionner : 1) La plupart des acteurs majeurs et communistes du livre ne souhaitaient pas être publiés par les éditions liées au PCF. Louis Aragon animait une collection chez Gallimard, son éditeur ; Louis Althusser, Henri Lefebvre ou Michel Vovelle publiaient leurs travaux ailleurs ; Henri Alleg opta pour un éditeur « bourgeois » lorsqu’il rédigea La Question (Minuit, 1958). Pire encore : les dirigeants communistes, à commencer par Georges Marchais, publiaient chez Grasset. 2) On reste ensuite saisi par l’ampleur de la dette qu’accumulèrent ces structures auprès de leurs imprimeurs est-allemands. Au début des années 1980, Georges Gosnat, trésorier du PCF, négocie un moratoire sur les dettes, qui s’élèvent à l’équivalent de 40 millions d’euros ! Les tirages sont colossaux et la gestion calamiteuse. 3) Enfin, la liberté éditoriale a de fortes limites, on l’imagine. Les éditions du Parti sont chargées de relayer la ligne insufflée par les instances dirigeantes et les travaux les plus ambitieux, notamment la traduction intégrale de Marx, sont souvent considérés avec indifférence, voire avec dédain.
Tout ceci donne le sentiment d’une absence de réflexion globale sur la place du livre au sein du monde communiste. Il n’est donc guère étonnant que l’édifice se soit totalement effondré avec la fin du « communisme réel ». À ce jour, il n’existe plus de maisons d’édition intrinsèquement liées au PCF (mais des éditeurs proches comme Le Temps des cerises et La Dispute), et il ne reste que quatre des 40 librairies que compta le réseau La Renaissance-Messidor.
Le Parti communiste français et le livre. Écrire et diffuser le politique en France au XXe siècle (1920-1992).
Sous la direction de Jean-Numa Ducange, Julien Hage, Jean-Yves Mollier.
Éditions universitaires de Dijon, 2014.
Cet article a été publié dans
CQFD n°123 (juin 2014)
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Paru dans CQFD n°123 (juin 2014)
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Mis en ligne le 08.08.2014
Dans CQFD n°123 (juin 2014)
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