La grève de la justice

« Indignons-nous ! », couinait le personnel de l’administration pénitentiaire de Fresnes dans un tract daté du 18 février dernier1. « C’est ma première manif de la vie ! », s’émouvait un juge le 9 février (Le Canard enchaîné, 16/02/11). « Historique », « Du jamais vu », « Inédit », et même : « Ça sent 1788 ! ». C’est que ça a de l’allure, une manifestation d’hermines et de robes consulaires ! Ça nous change des gueux qui descendent dans la rue à tout bout de champ, et qu’on doit embastiller ensuite pour dégradations, outrage et rébellion. Les magistrats étaient furieux. Furieux d’une nouvelle insulte présidentielle les rendant responsables d’un meurtre qu’ils ne pouvaient pas anticiper. Juges, avocats, procureurs, tous unis : tous ceux qui, dans le prétoire, rejouent quotidiennement la comédie du scandale. Police et justice défilaient main dans la main, la grande réconciliation ! Quoique à vrai dire, depuis l’autre côté de la matraque et l’autre côté de la barre, elles n’aient jamais semblé marcher trop loin l’une de l’autre – question de perspective, sans doute.

Les magistrats veulent donc du respect et des moyens. Appliquer les lois sécuritaires, d’accord, mais moyennant finances. Augmenter les quotas, ok, mais sans que ça leur retombe dessus. Maintenir l’ordre social, pas de souci, mais sans être traités comme des larbins. On a son honneur. Faut pas confondre, « les juges ne sont pas des criminels », synthétise un magistrat (Le Nouvel Observateur, 10/02/11). Car les hommes de robe, à part quelques précieuses exceptions, n’ont pas l’air d’opposer une résistance trop féroce à leur enrôlement dans la guerre aux pauvres, la chasse aux sans-papiers ou la criminalisation des mouvements sociaux. Il semblerait plutôt que les rouages judiciaires soient parfaitement huilés : il suffit d’assister à ces comparutions immédiates où le tribunal, d’un air las, envoie les RSAstes au trou – fumeurs de pétards, voleurs à l’arraché, insulteurs de policiers, toute cette piétaille qui surpeuple les prisons. Dommage que l’on ne retrouve jamais cette belle unanimité contre les peines plancher ou contre la LOPPSI 2, contre l’enterrement des affaires financières ou contre l’extension de l’anti-terrorisme. Qu’on les outrage, et les magistrats sont vent debout – mais qu’on piétine les libertés, et ils abaissent les voiles. Excusez-les, ce n’est pas leur rôle, ils sont juste là pour faire respecter la loi.

En guise de protestation, les services de probation et d’insertion pénitentiaires (SPIP) ont décidé d’annoter tous les dossiers de la sorte : « En aucun cas, le SPIP ne peut être garant ni du comportement de l’intéressé ni de l’absence du risque de récidive. » Allez, camarades, on continue tout comme avant, mais on se couvre. Le 22 février, les banderoles à peine repliées, la CGT pénitentiaire constatait une « vague d’incarcérations » à Nantes, d’où est partie la contestation. Du « jamais-vu », là encore. Les juges ne voudraient plus courir de risques, et appliqueraient à la lettre toutes les mesures d’exécution de peines : après la grève du zèle, le zèle des peines. La révolution aura été de courte durée : faudrait voir à pas laisser les pauvres s’imaginer des choses.


1 Les tracts cités sont consultables sur ugsp-cgt.org.

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Paru dans CQFD n°87 (mars 2011)
Dans la rubrique Faux amis

Par L’équipe de CQFD
Mis en ligne le 04.05.2011