La chronique judiciaire où c’est l’angoisse
Marseille. L’accès au TGI est barré, de nombreux policiers sont là : interdiction d’entrer sans convocation. Un avocat arrive : « Mais les audiences sont publiques ! » Les barrières s’entrouvrent bientôt. Six personnes comparaissent, toutes pour « violation de domicile » et « dégradations », deux pour « refus de prises d’empreintes ». En face, Mme L., et son père, M. G., les plaignants. Les avocats plaident la nullité, notamment en raison de la garde à vue, très sévère : « Le Parquet n’a pas fait son travail et n’a pas fait notifier le droit au silence. On est revenu à la charge sans arrêt pour les faire parler ! » Le procureur jette un regard noir : « Je suis un magistrat du Parquet et je m’insurge ! On parle des droits de la défense, mais le Procureur de la République doit s’assurer que toute la lumière soit faite ! » Le président interroge Mme L. : « L’incrimination pénale implique la violation de domicile. Ce bien est-il votre domicile ? – Je n’ai jamais eu le courage d’y habiter parce que notre mère est morte là. Mais j’y ai grandi, j’y emmène mon fils pour lui parler de l’histoire de sa grand-mère. Ça a été un choc d’y voir des étrangers. Ils m’ont traitée de bourgeoise, de facho ! – Bien. Monsieur G., vous avez indiqué que cette maison n’est plus habitée depuis cinq ans. – Eh oui, parce que mes enfants me demandent 2 000 euros de loyer, je ne peux pas me le permettre. Je vis dans un cabanon, sans eau ni électricité, dans le Var. » Madame L. rabroue son père, le président intervient : « C’est pas un lieu d’affect, un tribunal. » Puis, entendant un murmure dans le public, il fait sortir une personne. « J’aurais pu faire évacuer tout le monde ! Je lis le procès-verbal : ‘‘Mme L. veut en découdre avec ceux qui sont à l’intérieur. Des voisins viennent lui prêter main-forte et les prévenus montent sur le toit. Ils téléphonent pour rameuter des amis. Bientôt, une quarantaine d’individus arrivent et crient ‘‘Non aux expulsions’’. Les CRS sont appelés. Les marins-pompiers arrivent. Le GIPN se présente et procède à l’interpellation des individus.’’ » Le président se tourne vers les prévenus : « J’ai une question simple : quand, comment, pourquoi ? – On est arrivés dimanche, on a percé la serrure, et parce que je suis SDF. On était à peu près sûrs que personne n’y habitait : il n’y avait pas de compteur d’eau, il y avait de la végétation. – Si vous vouliez vous installer, pourquoi n’a-t-on retrouvé aucun effet personnel ? – Tout a été jeté par la fenêtre pendant l’expulsion. – Qui était la tête pensante ? – Nous quatre. – Quatre têtes pensantes ! Et vous, monsieur, il y avait un avis de recherche indiquant que vous êtes proche de la mouvance anarcho-autonome. – Je ne suis pas au courant. » Les avocats de Mme L. et M. G. plaident : « Il n’y a pas de définition générale pour apprécier ce qu’est un domicile. Pour elle, c’était devenu un mausolée. C’est véritablement un cri du cœur, c’est l’angoisse. C’est pourquoi je demande 3 000 euros par prévenu pour le préjudice moral, et 1 000 pour les frais de justice. – L’intention de la loi est de protéger la propriété immobilière. En face de nous, on a des gens organisés ! Et nous n’avons pas reçu d’excuses. Je demande 4 156 euros au titre du préjudice matériel et 5 000 au titre du préjudice moral. » Puis, le procureur : « J’avais prévu de dire que le problème du logement est un noble combat. Finalement, je me suis rendu compte qu’il s’agit plutôt d’un comportement individualiste : on veut juste se trouver un logement. Pour moi, ce lieu constitue bien un domicile. Je requiers que tous effectuent 40 heures de travaux d’intérêt général [TIG]. » Enfin, les avocats des prévenus : « Vous innoveriez si, malgré l’absence d’occupation, vous reconnaissiez la violation de domicile… Ils ont fait deux jours de garde à vue, il y avait de la violence des deux côtés, alors ils n’ont pas envie de faire des excuses. – Le changement de serrure n’est pas un délit mais une simple contravention. Les parties civiles vous demandent 17 000 euros ! Vous ne retiendrez que le changement de serrure, soit 350 euros. » Résultat, après cinq heures de procès : relaxe pour les refus de prises d’empreintes, et pour les deux arrivés plus tard dans le squat. Les autres, « coupables de la contravention de dégradation », doivent payer 350 euros pour la serrure, 500 pour M. G., 150 avec sursis, et faire 40 heures de TIG. L’un d’entre eux les refuse, et écope de 1 000 euros d’amende. Et « Mme L. est déboutée de l’ensemble de ses demandes. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°87 (mars 2011)
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Paru dans CQFD n°87 (mars 2011)
Dans la rubrique Chronique judiciaire
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Mis en ligne le 10.05.2011
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