La chronique judiciaire où chacun s’y perd
Tribunal d’instance de Saint-Brieuc. À peine passé le sas d’entrée sans scanner ni gendarmes, une petite salle a les portes grandes ouvertes. Au fond, derrière un bureau ni surélevé ni protégé, la juge de proximité appelle les dossiers du premier jour de procès de l’année, premier jour, aussi, de la nouvelle carte judiciaire qui voit disparaître certains tribunaux et gonfler les affaires de certains autres. Devant elle, une pile de chemises vert fluo qu’elle lit au fur et à mesure : « Mademoiselle P. contre SNCF, CPAM 22 contre monsieur B... » Les avocats bavardent entre eux, l’ambiance est détendue. « Groupe Pronuptia contre monsieur et madame N. ? Bon, y a personne, on renvoie, de toutes façons, j’en ai beaucoup trop. » La juge est une femme jeune, sans traditionnelle robe noire et blanche. « Monsieur O. contre monsieur et madame D. ? Ah, les deux parties sont là. Est-ce que vous avez chacun les pièces de l’autre ? » Monsieur O., un homme d’une soixantaine d’années, regarde l’avocat de monsieur et madame D., interrogateur : « Euh, non. – Sur quoi allez-vous vous appuyer ? – Eh bien, sur mes pièces. – Mais lesquelles ? – Celles que j’ai ! Mais on me parle de la pose d’un nouveau chauffe-eau et... – Non monsieur, c’est juste une question de forme : avez-vous de nouvelles pièces ? » L’avocat des D., l’air blasé, coupe court : « Je ne crois pas, je pense que le dossier peut être jugé. – Bien, retournez à vos places, je vous appellerai. Alors on commence : Madame S. contre Syndicat des copropriétaires de la résidence N. Nous vous écoutons, maître. – Madame S. ne règle plus ses charges de copropriété depuis 2 ans. J’ai cru comprendre qu’elle demande des délais de paiement. Je m’oppose à cette demande parce que la dette est ancienne et que les autres copropriétaires devraient supporter sa carence. » Madame S., très gênée, parle tout bas à la juge : « Oui, j’ai des problèmes financiers alors je demande un rééchelonnement. – Vous avez quoi à l’appui ? – Euh, rien. Qu’est-ce qu’il faut que j’apporte ? – Vous venez avec un grand sourire et vous pensez que je vais vous croire comme ça ? – C’est la première fois que je viens au tribunal, je pensais que ça ne se passerait pas comme ça. – Que les gens parlaient dans le vent ? Je veux bien reconnaître qu’on puisse ignorer la loi mais en plus, ça vous a été écrit dans l’assignation à comparaître. » La juge, tout en posant quelques questions, observe d’un air désolé madame S. puis renvoie les délibérés au 1er mars. « Monsieur O. contre monsieur et madame D. » L’avocat des D. commence : « Mes clients ont signé un contrat de location auprès de Monsieur O. Les deux parties sont convenues que mes clients feraient des travaux contre une réduction de loyer. Ils ont saisi votre tribunal parce que cette réduction n’a pas été accordée alors que les travaux ont été effectués et que la restitution du dépôt de garantie n’a pas été faite depuis fin 2009. – Le juge de proximité n’est saisi que du dépôt de garantie. – Oui enfin ce n’est pas grand-chose. – Ce n’est pas une question de montant, mais de compétence, maître. Monsieur O., vous avez une demande sur les loyers ? – Oui ! – Bon, bah, c’est renvoyé au 28 février alors. Allez, Madame M. contre Société des Meubles R. » Deux avocats s’avancent. « La société prétend que ma cliente a commandé un canapé 3 places, mais nous on reste sur le fait qu’on a demandé un canapé d’angle. Si l’on compare les prix du prospectus publicitaire, les canapés 3 places sont à bien moins de 900 euros et les canapés d’angle à plus de 1200. Nous avons payé 900 euros dans le cadre d’une promotion. La société adverse affirme qu’il n’y a pas d’erreur sur la substance mais désaccord sur les prix. – La substance du canapé ? – Non, la substance du contrat. » Le mari de madame M. lève le doigt : « Je peux préciser quelque chose ? Les Meubles R. nous ont livré la moitié de la commande en affirmant que nous souhaitions la moitié d’un canapé pour le prix d’un canapé entier ! » L’avocat de la société enchaîne : « Le code de la consommation précise que le client a toujours raison, ce qui me gêne un peu dans cette affaire. Pour un canapé d’angle, il y a toujours deux meubles : un bâtard droit et une méridienne. Or sur leur commande, il y a marqué un seul mobilier, "un canapé d’angle", et non deux ». La juge s’y perd : « Mais je voudrais le prix d’un bâtard droit. – 1200 sans accoudoir. – Donc celui sans accoudoir est plus cher que celui avec. – Ce n’est pas interdit ! - Non mais c’est un élément probant, maître. Bon allez, délibérés au 1er mars. Pôle emploi contre monsieur F. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°85 (janvier 2011)
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Paru dans CQFD n°85 (janvier 2011)
Dans la rubrique Chronique judiciaire
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Mis en ligne le 08.02.2011
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