L’antiterrorisme français, mais qu’est-ce qu’on va faire de ça ?

En tout cas, on peut dire de lui qu’il ne connaît pas la crise. Il l’accompagne même à merveille  ! Avec pas moins de quinze textes législatifs en trente ans, c’est même une affaire de basse politique qui marche rondement. Le dernier en date, la cuvée Cazeneuve du 18 septembre 2014, signe le ralliement définitif, avec armes et bagages, de la « gôche » de gouvernement à l’idéologie sécuritaire dont les prémisses de droite sont apparues avec la loi « anticasseurs » de 1970 et la loi « sécurité et liberté » de 1981 sans qu’on ne puisse jamais en discerner la conclusion. Son ressort principal est bien connu  : à l’instar de la dystopie imaginée dès 1956 par Philippe K. Dick dans Minority Report, il s’agit de surveiller une part grandissante de la population dont on subodore les potentielles intentions criminelles.

Par L.L. de Mars.

Le problème désormais pour les écuries politiciennes sera plutôt de continuer à creuser le sillon du tout-répressif face à un texte qui met la barre toujours plus haut en s’asseyant tranquillement sur quelques contradictions de taille  : création du délit « d’entreprise individuelle terroriste » malgré la déclaration d’amour de Valls au MEDEF cet été, interdiction de sortie du territoire pour les apprentis djihadistes en dépit des injonctions multiples lancées aux jeunes pour qu’ils exportent la culture et le savoir-faire français aux quatre coins du monde, blocage administratif des sites Internet suspects alors même que l’ensemble de la Nation est invité à prendre le virage du tout-numérique. Pourtant, de l’autre côté du bac à sable parlementaire, certains, un peu toujours les mêmes en ces temps de fin de régime, se sont essayés à relever le défi de la surenchère. Dans cet exercice, Éric Ciotti s’est particulièrement distingué en proposant un amendement sur la création de « centres de rétention pluridisciplinaires » pour ceux qui, heureux d’avoir fait un voyage d’étude au Levant, s’en reviennent dans leurs pénates hexagonales. Grâce au travail de fond mené par des équipes de psychologues, travailleurs sociaux et responsables religieux, on espère parvenir à « déradicaliser » ces jeunes impétueux. Une méthode qui pourrait s’inspirer des médecins KGBistes de l’ère stalinienne tout entiers investis dans leur œuvre de rééducation psychiatrique des dissidents. Quant à Christian Estrosi, dans un autre amendement, il a avancé l’idée que soit établie une liste noire de tous ceux – les gosses aussi – , qui seraient allés mater une décapitation sur un site dédié, histoire de leur confisquer la connexion pendant au moins cinq ans. Où l’on s’aperçoit que le motodidacte niçois a d’autres références que son compère chauve des Alpes-Maritimes, plutôt du côté de l’Amérique des années cinquante. D’autres, moins ambitieux ou plus classiques, ont voulu recentrer le combat contre les pauvres et les taulards, les deux publics « traditionnels » de la droite et du djihadisme  : suppression des aides sociales pour les premiers, isolement total pour les seconds. Cependant, tous ces amendements ont été rejetés. Malgré « l’acuité de la menace barbare » et la « cohorte de terroristes isolés1 », le pouvoir socialiste a voulu ménager l’état de droit qui a le dos large mais quand même… Il pourrait aussi garder des munitions pour plus tard au cas où la courbe du chômage s’obstinerait à ne pas vouloir s’inverser.

Une fois n’est pas coutume, nous pouvons laisser les mots de la fin à Pierre Torres, ex-otage en Syrie, regrettant dans une tribune du Monde2 d’avoir collaboré « avec le service politique qu’est l’antiterrorisme »  : « Nemmouche n’est pas un monstre. C’est un sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire. Ses raisons d’aller en Syrie se rapprochaient probablement plus de celles qui, à un certain degré, mènent des adolescents américains à abattre toute leur classe ou certains de nos contemporains à participer à une émission de téléréalité, qu’à une quelconque lecture du Coran. Ce qu’il incarne, c’est une forme particulièrement triviale de nihilisme. Il est, à cet égard, un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites humiliations, stigmatisations et injustices. L’empilement sans fin de nouvelles lois antiterroristes en est l’une des facettes. »


1 Jean-Jacques Urvoas, Président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, dans une tribune publiée par Le Monde le 18 septembre 2014.

2 Dans l’édition du 17 septembre du journal de référence. Rappelons que Nemmouche aurait été l’un des geôliers de Pierre Torres pendant sa captivité et que son analyse découle en grande partie de cette proximité non désirée. On connait la suite avec le drame du Musée juif de Belgique, qui marquerait le passage à l’acte – présumé – d’un Nemmouche, exécutant froidement et au hasard quatre personnes, parce que juives ou supposées telles.

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