Immigration : Dieppe, l’autre Calais
Dieppe, sa plage, ses galets, son château, son port et son ferry transmanche. Une porte pour l’Angleterre avec des traversées vers Newhaven deux fois par jour. Depuis quelques mois, pour sortir du bourbier de Calais, des réfugiés descendent le long des côtes normandes.
Dieppe, comme Ouistreham, Cherbourg et depuis peu Le Havre1, est devenu un lieu de passage. Mais la cité normande n’a rien à voir avec Calais en termes d’affluence, les migrants n’étant qu’entre quatre-vingts et cent quarante suivant les jours. Par contre, question conditions de vie, c’est kif-kif. « Les migrants vivent dans des conditions difficiles : pas de toilettes, pas de douches, pas de points d’eau, pas de poubelles... La situation est comparable à celle de Calais : rien n’est fait pour accueillir les personnes dans des conditions dignes », souligne Christian, de Médecins du monde. La mairie ? Elle ne fait rien. « Il n’y a aucun point de distribution de nourriture de la part de la municipalité. Les gens peuvent crever ! », s’insurge Sophie, ancienne travailleuse sociale devenue bénévole.
Si la plupart des réfugiés campent face aux vents et à la mer, certains ont investi les « gobes », grottes aux pieds des falaises à deux pas de l’embarquement des ferries. Ces cavités, ouvertes au XVIIe siècle pour extraire des pierres et de l’argile destinés à la construction de la ville, ont ensuite servi d’habitation à une population pauvre jusqu’au début du XXe siècle. Aujourd’hui, elles sont occupées par des Albanais, ainsi que des Érythréens, des Irakiens et des Soudanais.
Ce camp est devenu un sujet de crispation, même si les migrants viennent peu en centre-ville. Fin mars, Hervé Morin, nouveau président de la région normande (UDI) et Sébastien Jumel, maire de Dieppe (PCF), ont demandé l’expulsion de ce campement. Le discours du maire est digne de Tartuffe, puisqu’il assure qu’il faut aider les Syriens, Irakiens et autres victimes de guerre, mais veut se débarrasser des Albanais, migrants économiques, dont certains se seraient montrés agressifs. Jumel parle même de « mafia albanaise », sauf que la vie des « mafieux » albanais, dans leurs tentes Quechua et leurs fringues de récup, n’a rien à voir avec Les Soprano. Le tribunal administratif a suivi les désirs des édiles ainsi que du syndicat mixte du port, et a ordonné l’expulsion du camp le 1er avril. Quand flics, pelleteuses et bulldozers sont arrivés, les migrants avaient quitté les lieux, dispersés un peu plus loin, dans des endroits plus dangereux, sous des falaises risquant de s’ébouler. L’État, face à l’accroissement de la pression migratoire, au lieu de proposer des bâtiments en dur pour loger les personnes ou pour stocker vêtements et nourriture, a diligenté plus de flics encore. Le 21 avril, les migrants ont reçu une nouvelle notification d’huissier pour un avis d’audience au tribunal administratif se tenant... dès le lendemain matin (!), vendredi 22 avril à 9h à Rouen ! Aucune possibilité pour eux d’organiser une défense dans ces conditions, ni de prendre le temps de trouver une solution de repli ! L’ordonnance d’expulsion a été prise le 22 avril... 80 personnes vont donc se retrouver une nouvelle fois expulsées de nulle part...vers nulle part, dont des mineurs isolés, et sans qu’aucune solution leur soit proposée.
Le soutien ? Il existe à travers le Centre d’accueil des demandeurs d’asile et Médecins du monde. Par ailleurs, chaque soir, une association issue de la communauté turque locale, Point Humanitaire 76, distribue 90 à 100 repas aux migrants quai de la Marne. Des collectes de vêtements et de repas secs sont organisées à Fécamp, Yvetot et même à Rouen. Un agriculteur de Fécamp a donné 250 kilogrammes de pommes de terre. Un concert de soutien a rapporté 1 000 euros…
Une autre association s’est créée, Itinérance Dieppe, qui aborde les aspects juridiques, les problèmes d’hébergement, la santé et l’hygiène, l’alphabétisation et surtout, assure collectes et redistributions.
Si ces assos sont appréciées par les migrants, il n’en va pas de même des pouvoirs publics locaux. Il est plus que compliqué d’obtenir des locaux pour stocker le matériel et recevoir les réfugiés. La mairie accuse même ces associations de favoriser la montée du Front national !
L’espoir d’un autre chemin vers l’Angleterre s’étant développé, on peut penser que, malgré les hautes clôtures installées ces jours derniers et les flics de plus en plus nombreux, la présence de migrants est partie pour durer. « Nous avons toujours peur que, sous prétexte d’état d’urgence, la distribution de repas au quai de la Marne soit remise en cause et que les flics viennent faire des rafles », souligne Nicolas Legrand, d’Itinérance Dieppe.
1 Depuis peu... en mai 2016. (Note du webmaster.)
Cet article a été publié dans
CQFD n°143 (mai 2016)
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Paru dans CQFD n°143 (mai 2016)
Dans la rubrique Histoires de saute-frontières
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Mis en ligne le 25.04.2018
Dans CQFD n°143 (mai 2016)
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