taxe d’habitation à marseille

Ignoble avec les faibles...

Le processus de gentrification, qui, dans les rêves les plus fous de la mairie, doit aboutir à reléguer en périphérie une bonne moitié de la population marseillaise, passe aussi par un alourdissement continuel de la fiscalité locale. Face à ce nouvel épisode de la guerre aux pauvres, un seul mot d’ordre : faut pas payer !

Et voici venir le temps des belles promesses électorales ! Les différents candidats dévoilent peu à peu les grandes lignes de leurs programmes à moins de 60 jours du premier tour de la présidentielle. Chez Macron, entre réduction conséquente de l’impôt sur les sociétés - qu’elles contournent déjà allègrement via divers procédés d’optimisation fiscale ou autres sucreries gouvernementales – et réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune, on trouve l’exonération de la taxe d’habitation pour 4 français sur 5 en 2020. Selon l’ancien locataire de Bercy, qui n’a rien fait dans ce sens quand il était en poste, il s’agit d’en finir avec « l’impôt le plus injuste » de l’hexagone. Maxime Picard, de Solidaires Finances Publiques, ne croit pas à la magie. « C’est vrai que cette taxe ne prend pas assez en compte les revenus des ménages. Mais la proposition semble surtout démagogique. Comment financer les collectivités en leur retirant cette source très importante de recettes ? En taillant encore dans la dépense publique ? En augmentant d’autres prélèvement encore plus injustes comme la TVA ? Ce qu’il faut faire, ce que nous demandons, c’est une refonte de la taxe d’habitation. »

À Marseille, la note de la fiscalité locale est particulièrement salée et elle est chaque année plus indigeste pour une grande partie de la population. En effet, contrairement à ses engagements répétés à la veille de chaque scrutin municipal, Jean-Claude Gaudin ne s’est pas gêné pour augmenter taxe d’habitation et taxe foncière avec une progression record de 50 % en 10 ans. De plus, en supprimant l’abattement général à la base, la hausse a proportionnellement frappé davantage les occupants de petits logements. Pour Delphine, propriétaire et habitante d’un petit T3 à proximité du centre-ville, le cumul taxe d’habitation et taxe foncière dépasse les 3000 euros annuel. Malgré un traitement de prof avec un peu d’ancienneté, elle a parfois du mal à boucler ses fins de mois. Elle est, malheureusement pour elle, la cible privilégiée de la municipalité qui se justifie sans cesse en gémissant sur l’exonération massive de plus 30 % des contribuables marseillais 1, la baisse de la dotation de l’État et le surcoût budgétaire lié à la réforme des rythmes scolaires. Résultat, la cité phocéenne est en tête du palmarès des villes les plus chères de France pour la fiscalité locale. 30 % de plus par rapport à Lyon et même 50 % par rapport à Paris. Maxime Picard clarifie la situation : «  À Marseille, contrairement à Lyon pour prendre une ville comparable en termes démographiques, il y a beaucoup moins d’argent qui rentre grâce aux prélèvements sur les entreprises. Alors, tout retombe sur les particuliers, surtout ceux appartenant à la classe moyenne. » Mais pas seulement, car la municipalité marseillaise a les mêmes besoins de financement des dépenses publiques que son homologue lyonnaise. Et Maxime d’ajouter : « Depuis l’introduction du RSA à la place du RMI en 2009, l’exonération d’office de la taxe d’habitation a disparu, ce qui a alourdi la pression fiscale sur les petits revenus. » Diane, allocataire de ce minimum social et colocataire d’un T3 dans le centre-ville pour lequel elle doit s’acquitter d’une taxe de 800 euros, peut en témoigner. « Depuis deux ans, je bénéficiais d’une exonération partielle en remplissant le dossier fourni par l’administration. Pour 2016, alors que ma situation est encore plus précaire, on ne m’a proposé qu’une mensualisation. J’ai refait des courriers, je me suis rendu à l’accueil du centre des impôts, j’ai téléphoné à plusieurs reprises. Impossible d’obtenir une réponse claire sur les critères qui m’ont fait basculer vers le paiement plein pot. Seulement des phrases m’invitant à me réjouir du cadeau offert par l’administration pendant deux ans. Ou encore des conseils m’orientant tantôt vers une demande de logement social 2, tantôt vers un emprunt bancaire, quitte à ensuite constituer un dossier auprès de la commission de surendettement. » Ici, notre agent des finances publiques tient à clarifier les responsabilités des uns et des autres. « C’est la loi de finances votée par les parlementaires qui fixe le plafonnement de la taxe par rapport aux revenus. Tout ce que nous pouvons faire, c’est accorder des remises gracieuses en fonction de l’âge, du handicap ou d’un changement brutal de situation financière, à l’occasion d’une séparation dans un couple, par exemple. Avec les collègues, on essaye de s’harmoniser pour respecter une stricte égalité de traitement en se fondant sur la précision des éléments dans les dossiers que nous recevons. Et nous en recevons de plus en plus depuis trois, quatre ans alors que nous sommes de moins en moins nombreux pour nous en occuper. »

Autre particularisme marseillais, le grand écart existant entre les niveaux de taxation des habitations en fonction des quartiers. Louer 100 m² à Saint-Mauront, souvent décrit comme le quartier le plus pauvre de France, ou à Noailles, dans le centre-ville dégradé, c’est 1 200 euros à verser annuellement au percepteur. La même surface à Bompard, immeubles de caractère et vue imprenable sur la Méditerranée juste au-dessous de Notre-dame-de-la-Garde, c’est 750 euros. « La valeur locative du bien immobilier qui sert de base au calcul de la taxe d’habitation n’a pas été révisée depuis 1970, ce qui crée une très forte injustice sociale », conclut Maxime. Et un instrument de poids dans la gestion clientéliste de la ville. Le maintien du statu quo profite ainsi aux zones les plus aisées, considérées comme périphériques sur le cadastre actuel.

Anarchiste de droite ? Poujadisme de gauche ? Le consentement à l’impôt est un principe fondateur du pacte républicain. C’est-à-dire que la contribution collective doit servir à financer des services publics en qualité et en quantité. Or, que constate-t-on au quotidien à Marseille ? Un délabrement des écoles, dont certaines ont dû fermer cet hiver faute de chauffage, au profit de projets pharaoniques à vocation commerciale et touristique, tels que le Grand Stade, avec comme seule justification celle du marketing territorial. Une baisse des subventions aux associations qui se démènent pour maintenir un peu de cohésion sociale au profit d’évènements pseudo culturels du type « Dimanche de la Canebière », censés transformer le centre-ville en Broadway sauce aïoli. Lorsque des chefs d’entreprise, s’auto-désignant sous le sobriquet de « pigeons », hurle au matraquage fiscal sur Internet, le gouvernement bat en retraite et concocte un plan d’allègement sur mesures : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, soit 20 milliards d’euros par an depuis 2013, dont les bienfaits sur l’inversion de la courbe du chômage tardent à se faire connaître. Lorsque des quidams font le pied de grue devant un centre des impôts pour exprimer leurs doléances avec un peu de véhémence, on leur envoie les CRS. Plutôt que d’attendre l’hypothétique réalisation de belles promesses électorales, à quand une grande grève des loyers assortie d’un refus de payer la taxe d’habitation qui, partie de Marseille, se propagerait à l’ensemble du territoire ? Toute ressemblance avec des faits historiques qui se seraient déroulés à la fin du 18e siècle serait fortuite...


1 12 % des ménages sur l’ensemble du territoire, un pourcentage qui repart à la hausse depuis 2014.

2 J. -C. Gaudin est régulièrement épinglé pour ne pas respecter les obligations en matière de construction de logements sociaux fixées par la loi SRU. Et seulement 10 % des demandes au titre du droit au logement opposable sont satisfaites.

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Paru dans CQFD n°152 (mars 2017)
Dans la rubrique Actualités

Par Iffik Le Guen
Illustré par Charmag

Mis en ligne le 20.03.2017