Médias
Iconoclaste ? Non, xénophobe
« Jean-François Kahn reste rarement plus de quelques mois sans dénoncer ce qu’il appelle la “bien-pensance gaucho-médiatique” – ou, plus sobrement, le “terrorisme de la bien-pensance”. Dès 2002, par exemple, il explique, dans un livre narrant notamment les débuts de l’hebdomadaire Marianne, que les difficultés auxquelles ce magazine s’est selon lui trouvé confronté dans les mois qui ont suivi son lancement étaient le produit d’une censure des “bien-pensants”. Et, après cela, il revient régulièrement à la fustigation d’une gauche “inquisitoriale”, qui selon lui passe beaucoup trop de temps à prendre “obsessionnellement et compulsivement” pour cibles ce qu’elle appelle des “dérapages”. […]
Cette plaidoirie est, somme toute, classique : elle revient à dire – sans le dire vraiment, mais en le suggérant tout de même assez nettement – que, dans une époque où des “élites” médiatiques et politiques émettent quotidiennement, ou presque, des avis trempés dans le nationalisme et la xénophobie, le questionnement de certains propos désagréables relèverait, au choix, de la discrimination (interdisant qu’on s’exprime maladroitement) ou du totalitarisme (restreignant la liberté d’expression). Ce sont là, peu ou prou, les mêmes arguments que ceux que produisent les “briseurs de tabous” lorsqu’ils édictent que les antiracistes sont des racistes, ou des “tyranneaux”. […]
Pour Jean-François Kahn, donc, il n’est pas question, semble-t-il, d’envisager qu’un « dérapage » puisse trahir une pensée qui serait, par exemple, véritablement xénophobe : il s’agit forcément (c’est du moins la seule possibilité qu il envisage dans son impétueux exposé) d’un “vice de forme”, qui ne dit rien du “fond” des opinions de celui qui s’y fourvoie. Problème, les exemples qu’il produit à l’appui de ce parti pris montrent qu’il fait trop bon compte de la réalité. Au nombre des proies de ce qu’il appelle une “chasse obsessionnelle” (dont l’effet serait, rappelons-le, qu’“on ne peut plus rien dire”), il mentionne en effet, en sus de Georges Frêche : Brice Hortefeux, Jacques Chirac, “antiraciste incontestable délégitimé par l’emploi d’un seul mot”, et Claude Guéant, “fusillé pour deux phrases”. Or, précisément, l’exhibition de ces trois cas montre, avec beaucoup d’autres, qu’au contraire de ce que soutient JFK, on peut, aujourd’hui, tout dire, même des vilenies dont la profération ne sera, pour leurs auteurs, d’aucun effet trop regrettable.
On peut dire par exemple, comme Jacques Chirac, non pas “un mot”, comme le prétend Jean-François Kahn, mais, pour la plus grande satisfaction d un aréopage de supporteurs de la droite dite “républicaine”, un entier discours dont l’acmé sera la fustigation d’un “bruit” et d’une “odeur”, et dans lequel se trouvera concentré l’essentiel de ce qui fonde, depuis son origine, la propagande lepéniste. On peut, comme le philosophe Alain Finkielkraut (ou Georges Frêche), déplorer qu’il y ait trop de Noirs dans l’équipe de France de football. On peut, comme Éric Zemmour, déclarer qu’un employeur « a le droit » de refuser d’embaucher “un Noir ou un Arabe”. […] Puisque Jacques Chirac a été élu président de la République. Puisque Alain Finkielkraut a continué d’être considéré par l’éditocratie comme un penseur dont les avis devaient être partout popularisés. Puisque Éric Zemmour est le “roi de l’Audimat”. »
1 Éditions Fayard, 2012.
2 Sébastien Fontenelle, Les Briseurs de tabous, intellectuels et journalistes « anticonformistes » au service de l’ordre dominant, La Découverte, 2012.
Cet article a été publié dans
CQFD n°105 (novembre 2012)
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Paru dans CQFD n°105 (novembre 2012)
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Mis en ligne le 08.01.2013
Dans CQFD n°105 (novembre 2012)
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