Polar
Héléna, le forçat du noir
« Car il n’y a aucune illusion à se faire : André Héléna est un radical de la révolte. Pour lui, cette Planète des cocus, pour reprendre le titre de l’un de ses plus singuliers ouvrages, […] est un lieu de totale iniquité, une manière d’enfer, le trou du cul de la création »1 Un enfer qui aura quand même inspiré Héléna, prolifique et méconnu auteur d’environ 200 bouquins. Des polars majoritairement, mais aussi des séries policières plus classiques, de la poésie, quelques pornos, œuvres choisies ou bien écrites sur commande. Héléna a passé sa vie à pisser de l’encre, à intriguer, sur le papier comme dans la vraie vie. Brouilleur de cartes, il aura compilé les pseudos d’une manière quasi schizophrène. Dans les librairies, on trouvera sa littérature sous des blazes aussi exotiques que Szolnock Lazslo, Clark Carrados, Alex Cadourcy, Patricia Wellwood, Jean Zerbibe, etc.
Né à Narbonne en 1919, Héléna fait ses premières armes littéraires en publiant quelques recueils de poésie. En 1936, après un premier passage à la capitale, l’homme traîne ses guêtres dans l’Espagne révolutionnaire, un séjour dont on sait peu de choses sinon qu’il lui inspirera deux romans : J’aurai la peau de Salvador (1949) et Le cheval d’Espagne (1959). « 8 juillet 1939. […] Maintenant c’était au tour des Français d’être emmerdés. M. Hitler, un bon copain à nous, aujourd’hui, leur en faisait voir de toutes les couleurs. Ils en perdaient tout sang-froid. Ils parlaient d’aller se frictionner en Allemagne et de mettre tout en l’air. Moi qui avais vu le baroud, j’étais un peu moins optimiste. Je savais que ça ne se passait pas tout à fait comme ça et qu’en tout cas, la guerre ça mettait un peuple sur le cul en moins de deux. »2
Réformé pendant la guerre, il rejoint le maquis pyrénéen en 1944. Dans le Paris d’après-guerre, Héléna élira ses quartiers à Montparnasse. Commencera alors pour l’auteur une vie de bohème où l’homme alternera petits boulots et incessante production littéraire. Petites frappes, prostituées, prolos : Héléna fera son monde dans les zincs et les milieux canailles desquels il tirera le principal carburant de sa plume. En 1948, c’est un séjour en taule pour une histoire d’impayés qui achèvera de façonner son pessimisme radical et son mépris des représentants de la bonne société. « Il n’y a qu’un officier d’artillerie, bien calé en balistique, qui puisse admirer comment la courbe impeccable de ma vie m’a conduit aux durs. »3 Quand il souhaite s’évader de la capitale, c’est pour retrouver son Sud natal et notamment le village de Leucate dans l’Aude où il s’est conservé un pied-à-terre.
Romans réalistes, romans noirs, la plume d’Héléna, pas toujours de qualité égale, n’a jamais quitté sa place : celle d’une marge abrupte, celle d’un homme qui a conservé intact le tranchant d’une langue que nulle corruption n’est parvenue à émousser. Il s’éteint en 1972 sans le sou ni quelconque honneur. « Il mit son manuscrit sous le bras et sortit », furent les derniers mots de son manuscrit. Inachevé.
1 Jean-Pierre Deloux, « Je suis un roman noir » (Polar revue n°23 – 2000)
2 J’aurai la peau de Salvador (1949 – Réédition E-dite, 2002)
3 Le bon Dieu s’en fout (1949 – Réédition Florent-Massot – 1994).
Cet article a été publié dans
CQFD n°112 (Juin 2013)
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Paru dans CQFD n°112 (Juin 2013)
Dans la rubrique Culture
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Mis en ligne le 19.08.2013
Dans CQFD n°112 (Juin 2013)
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25 août 2013, 20:35, par Felip
Effectivement, Héléna est un des meilleurs auteurs de romans noirs français. A noter qu’il y a eu pas mal de rééditions chez e-dite : boulot utile malgré des couvertures moches et un prix élevé. Sur 200 titres, 20 sont des chefs-d’oeuvres. dans le reste, beaucoup de travaux alimentaires car il fallait bien qu’il gagne sa croûte. Un seul bémol : on trouve pas mal de termes racistes et l’auteur semble manquer de recul. Pour la même époque par exemple, on ne trouve pas de racisme chez Jean Amila.