Notre-Dame-des-Landes
Guerre des terres à la Zad
C’est un nouveau front de lutte. Et celui-ci ne se joue pas derrières les barricades dressées en avril pour contrer les destructions d’habitations. À Notre-Dame-des-Landes, les autorités s’attellent désormais à la redistribution des terres anciennement promises à la bétonisation.
Pour l’instant, ces dernières appartiennent encore à l’État qui les avait préemptées pour Vinci en vue de la construction de l’aéroport. Mais depuis que le projet a été enterré, le gouvernement a chargé un comité de pilotage1 de trancher la question suivante : à qui doit revenir l’usage des terres agricoles ?
La poignée de paysans résistants qui avaient refusé de céder aux sirènes financières des aménageurs – 370 hectares de terres au total – devraient a priori se voir ré-attribuer légalement leurs parcelles.
En pleine phase d’expulsion et d’invasion militaire de la Zad, des occupants ont pour leur part signé en juin une quinzaine de conventions d’occupation précaire (COP) pour un ensemble de terres représentant 170 hectares. « Certains paysans occupants avait déjà envie d’obtenir un bail rural pour sécuriser leur avenir en cas d’abandon du projet, explique Camille, un occupant qui a signé une COP. Mais pour beaucoup d’entre nous, le choix de formes collectives de pérennisation, incluant une légalisation partielle, est venu s’ajouter à la résistance sur le terrain pour contrer l’attaque frontale de l’État au printemps dernier. Il fallait contenir la destruction des lieux de vie pour ne pas tout perdre. Et nous nous battons depuis pour des cadres stables qui permettent de garder des marges de liberté et d’autonomie. »
Une stratégie de légalisation des terres qui a suscité des débats houleux et de vives tensions entre les occupants. Le collectif Radis-Co a ainsi fustigé cette tentative de négociation avec l’État qui, selon lui, « vide de contenu politique notre présence ici » et ouvre les portes à la normalisation de la Zad2.
Néanmoins, au-delà du danger inhérent au fait de discuter avec les autorités étatiques, une autre menace plane sur les terres : la convoitise des anciens cultivateurs du coin. Nombre d’agriculteurs, dont les champs étaient concernés par le futur aéroport, ont été grassement indemnisés pour avoir accepté de lâcher leurs parcelles aux bétonneurs. Ils ont par ailleurs été généralement prioritaires sur l’octroi de terres à l’extérieur de la Zad. Certains ont même continué à percevoir des aides agricoles publiques sur les champs qu’ils exploitaient avant le mouvement d’occupation. « Mais aujourd’hui, ces “ cumulards ”, comme on les surnomme par ici, veulent récupérer ces terres, s’indigne une occupante de la Zad. En quelque sorte, ils veulent le beurre et l’argent du beurre ! »
Réunis dans une association baptisée Amelaza, ces agriculteurs, proche de la Chambre d’agriculture et de la FNSEA – le syndicat agricole majoritaire –, revendiquent le droit de revenir cultiver plus de 500 hectares de terres arables sur la Zad. Une façon pour eux d’agrandir leur exploitation afin de déclarer plus de surface agricole et in fine toucher plus d’aides publiques.
L’enjeu politique est de taille quand on sait qu’en France, l’installation pour les jeunes est un vrai chemin de croix et que la moitié des terres agricoles sont concentrées aux mains de 10 % des exploitants. Pour les habitants de la Zad, « les terres libérées par l’abandon du projet d’aéroport doivent aller en priorité à de nouvelles installations de jeunes paysans. »3 Aux antipodes de l’imaginaire paysan porté par les occupants, l’accaparement des terres par les « cumulards » laisse entrevoir le retour sur la Zad du productivisme agricole. Une vision industrielle de l’agriculture dont les pratiques intensives sont néfastes à la biodiversité et qui conduit chaque semaine 200 fermes du pays à mettre la clé sous porte.
Le 12 octobre dernier, se tenait à Nantes la première réunion du comité de pilotage après la signature des quinze COP par les occupants. En soutien à la Zad, une soixantaine de tracteurs stationnait sous les fenêtres de la préfecture avec des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Oui à l’installation, non à l’agrandissement ». Au sortir du comité, Nicole Klein, la préfète de Région, se targuait par communiqué de presse : « Nous travaillons pour arriver à une répartition équilibrée des terres qui permette à tous d’envisager le plus sereinement possible leur avenir ensemble sur ce territoire. »
« L’État a décidé de couper la poire en deux pour tenter de satisfaire tout le monde », lâche quant à lui Camille. La préfecture s’est en effet engagée à transformer les quinze COP en baux ruraux. 30 à 40 hectares de champs déjà occupés depuis plusieurs années mais toujours revendiqués par les « cumulards » devraient finalement revenir au mouvement4. Enfin, à la suite de départs en retraite d’agriculteurs d’ici fin 2019, des nouvelles installations – a priori d’occupants – seront privilégiées sur 152 hectares.
Mais ce qui indigne l’ensemble du mouvement, ce sont plus de 300 hectares de terres agricoles qui reviendraient à l’Amelaza. Les habitants de la Zad réclament en amont un diagnostic foncier clair pour chacun des « cumulards », afin de savoir dans quelle mesure ils se sont agrandis et gavés de primes agricoles. Le consultant qui a réalisé l’état des lieux agricoles pour le comité de pilotage est en effet salarié par la Chambre d’agriculture – qui s’est toujours positionnée contre l’occupation de la Zad – et a même conseillé les « cumulards » lors de la création de leur association Amelaza !
« Il reste aussi 188 hectares à voir au cas par cas et sur une partie desquels des projets liés au mouvement pourraient s’installer », ajoute Camille. Quant à la forêt de Rohanne, en plein cœur de la Zad, la préfecture a annoncé de manière floue que sa gestion serait partagée entre l’Office national des forêts (ONF) et Abracadabois, un collectif d’occupants et artisans qui a pris soin de ce bois avec une vision de l’arbre à la charpente. L’objectif est que les usagers de la forêt gardent le plus d’autonomie possible sur la gestion et qu’Abracadabois ne devienne pas un simple prestataire de service pour l’ONF.
Une semaine après les premiers rendus de ce comité de pilotage, des habitants de la Zad ont resemé un mélange céréalier à la Noë Verte, sur une parcelle de 6 hectares revendiquée par un « cumulard ». Et une cinquantaine de trous ont été creusés pour accueillir les nouveaux arbres fruitiers d’un verger mis en place l’an dernier avec un réseau d’épiceries autogérées du pays nantais.
« Nous continuons de nous projeter vers l’avenir. Nous réfléchissons déjà à comment reconstruire sur les sites des anciens habitats détruits dans le cadre du projet d’aéroport, souligne Camille. L’État a cherché à nous isoler, en nous faisant signer des conventions individuelles. Mais nous persistons dans notre volonté d’avoir une gestion collective des terres par l’ensemble du mouvement, avec un bail, voire même un rachat des parcelles. »
Le comité de pilotage se réunira à nouveau mi-février, entre autres pour prendre position de nouveau sur la répartition de l’usage des terres. D’ici là les arbres du verger de la Noë Verte auront déjà pris racine.
1 Ce comité de pilotage, présidé par la préfecture, rassemble la Chambre d’agriculture, les syndicats agricoles, les associations des agriculteurs historiques, la communauté de communes, le Département et les services de l’État. Les occupants, Copain 44, l’Acipa et les Naturalistes en luttes ont refusé d’y siéger.
3 Communiqué « Répartition des terres de la Zad : pour sortir de l’opacité, il faut un vrai diagnostic foncier ! », 12 octobre 2018.
4 En contrepartie, ces agriculteurs recevront des terres à l’extérieur de la Zad.
Cet article a été publié dans
CQFD n°170 (novembre 2018)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°170 (novembre 2018)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Vincent Croguennec
Mis en ligne le 30.11.2018
Articles qui pourraient vous intéresser
Dans CQFD n°170 (novembre 2018)
Derniers articles de Mickael Correia